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Technostress sous contrôle!

 

Par: Jacques Lafleur, psychologue

Paru dans Travail et santé, vol 32 no3, septembre 2016

 

Depuis une trentaine d’années, le monde du travail est envahi par les changements technologiques, notamment par ceux qui concernent la communication. Destinés à augmenter la rapidité d’exécution, les nouveaux outils (internet, courriels, sms, etc.) ont cependant contribué à l’augmentation du niveau de stress de bien des gens. Si l’adaptation aux changements qui vont continuer de s’implanter reste nécessaire, le stress, lui, pourrait être beaucoup moindre.

 

Vivre en son temps,… avec du temps!

 

Les technologies, notamment les TIC (technologies de l’information et de la communication), vont continuer d’évoluer et d’imposer des changements. Cela suppose que l’immense majorité des gens qui travaillent vont devoir mettre leur connaissances à jour un grand nombre de fois durant toute la durée de leur vie professionnelle. La question n’est donc pas tant de résister au changement que de composer de façon harmonieuse (et intelligente) avec lui, de façon à ce que le stress qui pourrait accompagner ces changements reste sous contrôle.

On appelle technostress le stress qui peut résulter de l’obligation de composer avec les technologies et leur évolution. Il tient notamment à la perte du sentiment de compétence, à la résistance au changement, à l’envahissement par les courriels et autres produits des TIC, à l’omniprésence d’un sentiment d’urgence ainsi qu’à l’appauvrissement des relations que nous entretenons avec les gens qui gravitent autour de nous au travail.

Voici quelques directions pour éviter que ce stress ne monte inutilement :

1. Comprendre ce à quoi va servir ce qu’on doit apprendre en ce qui concerne les TIC;

2. avoir le temps de l’apprendre et de le maîtriser sans que le tout ne soit trop exigeant;

3. l’utiliser sans ressentir de pression de temps indue;

4. garder une saine distance face à un éventuel envahissement;

5. et finalement rester en relation avec les gens avec lesquels on travaille.

Or, dans le monde du travail actuel, ces conditions ne sont malheureusement pas toujours réunies.

 

Nécessaire ou «plus performant»?

 

Sans remettre en doute la pertinence des TIC, on peut quand même s’interroger sur la nécessité de s’imposer continuellement des changements sous prétexte qu’un tout nouvel outil serait plus performant que ceux que nous utilisons déjà.

Il suffit que Apple annonce un nouveau iPhone pour que la foule se rue pour l’acheter. Mais est-ce bien nécessaire pour tous ces gens? Peut-on distinguer l’engouement de la pertinence, puis la pertinence de la nécessité? Il y a de nets avantages à s’interroger sur le rapport coût/bénéfices d’un changement avant de s’y engager.

Dans les organisations, les TIC sont le plus souvent gérées par des gens qui s’y connaissent, qui en «mangent». Pour eux, tout ce qui est nouveau et plus performant est intéressant, captivant, enthousiasmant et présente des avantages. Mais toute nouveauté est-elle nécessairement profitable pour l’organisation? L’idée n’est pas de résister au changement mais de prendre au moins le temps d’évaluer si le jeu en vaut la chandelle, en tenant notamment compte des dimensions humaines qui seront touchées. 

Si les avantages à changer sautent aux yeux des gens qui s’y connaissent, ils sont moins évidents pour ceux qui auront à intégrer ces changements et qui considèrent souvent (et pas toujours à tort) que leurs outils actuels servent encore très bien les objectifs qu’ils poursuivent.

De nombreuses recherches ayant montré que les changements qui sont menés en collaboration avec ceux qui devront les appliquer s’intègrent beaucoup mieux que ceux qui sont imposés, la consultation, ou du moins une information intelligente, reste de mise. Si les gens qui auront à se servir d’un nouvel outil de travail comprennent ce à quoi il va servir, on aura déjà fait un premier pas favorable à son intégration.

Tout changement de ce type provoquant en soi des résistances, il importe, quand c’est le cas, de préciser que le changement ne sera pas trop difficile à intégrer. Quand les gens réalisent que «ah, c’est juste ça qu’il faut faire!», le stress associé à ces résistances diminue de beaucoup.

Dans l’autre sens, la consultation pourrait permettre à l’organisation de réaliser que le changement envisagé n’est pas forcément nécessaire à ce moment-ci, ce qui pourrait les aider à rester très efficaces sans dépenser d’argent. Un sain questionnement sur les avantages et les inconvénients pourrait réduire les tensions entre les partisans du changement pour le changement et ceux de la résistance à tout prix.

 

Un outil reste un outil

 

Nos ordinateurs intègrent instantanément les mises à jour ou les nouveaux logiciels, dans la mesure où ils sont compatibles avec leurs capacités. Il en va autrement avec nous. Nous ne pouvons pas travailler instantanément avec de nouveaux outils de travail : il nous faut du temps de pratique pour devenir compétents. Or, très souvent, après une formation théorique plus ou moins appropriée, nos organisations mettent ces outils en place et nous n’avons d’autre choix que de les utiliser, alors que nous ne sommes pas vraiment capables de nous en servir. La gros de la formation se fait alors «sur le tas», avec urgence de livrer la marchandise. Première perte du sentiment de contrôle, première cause de stress.

Et ce n’est pas parce que nous sommes de la génération «Y» ou «Z» que les TIC n’ont pas de secrets pour nous. Beaucoup de jeunes portent un stress supplémentaire du fait qu’on considère qu’ils devraient être en mesure d’intégrer instantanément tout ce qui bouge dans ces technologies. Faux. Tous les «Y» et les «Z» ne sont pas et n’ont pas à être des freaks des technologies de l’information.

La compétence contribue pour beaucoup à un sentiment de contrôle, lequel maintient le stress à un niveau raisonnable. Sachant qu’on peut réussir à atteindre ses objectifs, on se sent en effet en sécurité. Mais quand on ne sait pas trop comment se servir de ses outils de travail, ce sentiment de contrôle diminue. Si on ajoute que les changements technologiques devraient nous rendre plus performants, on se retrouve avec un faible sentiment de compétence alors que la marchandise à livrer est toujours là. Stress là aussi. Pour s’aider, réservons du temps de formation, dans des cours formels ou avec ceux de nos collègues qui s’en tirent bien, informons-nous. Prenons le temps d’apprendre. Exigeons du temps pour apprendre.

 

La culture de performance

 

Les TIC s’inscrivent dans le mouvement de transformation du monde du  travail qui a cours depuis quelques décennies. Il faut faire vite, il faut faire plus avec moins, il faut atteindre des objectifs chiffrés ¾ souvent irréalistes ¾, sans trop se questionner sur le fait qu’on ait ou non les moyens d’y arriver. Tyrannie de l’urgence, culture de la performance.

Or, c’est précisément là l’utilité des TIC : aller plus vite, rendre les choses plus faciles, être moins dispendieux tout en permettant d’accomplir davantage de travail.

Mais on a occulté là le fait que, pour arriver à développer nos compétences, nous devons apprendre à le faire, pendant nos études puis dans notre travail, avec quelqu’un qui nous montre et qui nous fait pratiquer.

La tyrannie de l’urgence fait sauter cette étape qu’est l’apprentissage, lequel s’intègre d’autant mieux qu’on pratique au début sur des choses qui ne présentent pas des enjeux importants. L’apprenti menuisier pratique ses techniques sur des retailles de bois, pas sur des meubles hors de prix; on apprend à conduire hors de la circulation intense, pas dans la cohue des heures de pointe. Alors, pourquoi imposer qu’on apprenne à se servir des nouvelles technologies et de leurs continuelles mises à jour sur des enjeux urgents où les erreurs peuvent amener de graves conséquences? Stress là aussi.

 

24 heures par jour

 

La vitesse de transmission des communications et la capacité d’y avoir accès de partout à toute heure du jour constitue une autre dimension des TIC pouvant augmenter le stress lié au travail. On peut maintenant travailler n’importe quand, de n’importe où, d’autant que beaucoup d’organisations, de clients et de collègues s’attendent à ce qu’on le fasse. Et il suffit qu’on soit anxieux à propos d’un élément de son travail pour qu’on soit tenté de prendre ses messages le soir (parfois juste avant de dormir!...) ou la fin de semaine pour savoir comment la situation évolue. Il est alors plus difficile de décrocher du travail, le décrochage étant pourtant une étape essentielle, chaque jour, à une réduction du stress.

À une certaine époque, on attendait le facteur. Une fois qu’il était passé, ça allait au lendemain, et au lundi si on était vendredi. La relative lenteur du système n’imposait pas de répondre immédiatement, puisque de toute façon le transport de cette réponse ne se ferait pas avant la levée des boîtes aux lettres, le lendemain. Personne n’attendait de réponse avant le lendemain.

Maintenant, on peut attendre le facteur 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il peut en effet arriver n’importe quand, porteur de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Et il est toujours disponible pour repartir immédiatement, vers quelqu’un qui peut attendre une réponse dans l’instant!

Mais peut-être pas non plus.

D’abord, tout courriel n’exige pas en soi de réponse immédiate. Ensuite, le fait que l’expéditeur marque son message comme urgent ne fait pas automatiquement en sorte qu’il entre dans nos priorités de lui accorder une attention immédiate. Attention à se laisser emporter par les urgences des autres, restons centrés sur nos priorités.

Un de mes clients, gestionnaire de projets, me disait travailler devant trois écrans : deux concernant des projets de travail différents et un troisième qui «poppe» à l’arrivée de chaque courriel, écran auquel il accordait priorité, interrompant son travail dès l’arrivée d’un courriel. Il n’est pas le seul à morceler ainsi son temps de travail, ces interruptions rendant toute personne beaucoup moins efficace. Il a depuis pris un peu de recul et réserve maintenant ses fins de matinée et de journée aux courriels, sans que personne n’ait à s’en plaindre. Attention donc. Si quelque chose est vraiment urgent, on vous le fera savoir autrement que par courriel si vous ne répondez pas immédiatement.

 

Maître ou esclave

 

Voici quelques stratégies pour garder le contrôle :

  • Cesser de croire qu’on doit être au courant de tout; ce n’est pas parce que quelqu’un a jugé bon de nous envoyer un courriel avec pièce jointe qu’on se doit d’en prendre connaissance;
  • choisir à qui on répond, et dans quel délai; choisir par conséquent à qui on ne répond pas;
  • fermer temporairement le logiciel de messagerie, utiliser sa boîte vocale pour limiter les interruptions tout en réservant du temps particulier pour répondre aux appels ou aux courriels;
  • classer ses messages en trois catégories lorsqu’on ouvre sa boîte de réception : répondre rapidement, répondre plus tard, mettre à la poubelle;
  • ne laisser que très peu de courriels sur sa page de réception, les classer dès qu’on a pris l’information ou fait le travail;
  • aller voir les gens ou les appeler plutôt que d’utiliser le courriel quand c’est possible;
  • utiliser la fonction qui permet de résilier des abonnements ou de bloquer des messages provenant de sources qui ne nous sont d’aucune utilité;
  • éviter le multitâche, faire une chose à la fois;
  • privilégier ce qu’on a à faire plutôt que de se laisser emporter par la curiosité d’aller voir ses messages à tout moment.

 

TIC et qualité des relations

 

L’omniprésence des messageries écrites a pour effet de diminuer la qualité des relations entre les gens. On s’envoie maintenant des courriels d’un cubicule à l’autre alors qu’on est sur un même plancher!  

Il n’y a pas que du contenu dans une communication : il y a aussi une relation. Se voir et se parler mène à se connaître, soude les liens entre les gens et contribue grandement à la cohésion des équipes. La solidarité, l’appréciation, la reconnaissance, on en témoigne en se voyant et en se parlant. Parlons-nous, établissons des relations, travaillons ensemble et nous nous sentirons moins isolés. Un peu de cœur, ça fait du bien au moral!

 

Restons humains

 

Je nous invite tous à rester humains, à rester communicatifs, reconnaissants, appréciatifs, à rester en relation les uns avec les autres, à nous voir, à nous parler. Attention à n’être qu’une ressource : restons des personnes, en lien avec d’autres personnes. Ne négligeons pas les liens que nous avons avec des gens que nous côtoyons 35 ou 40 heures pas semaine.

Restons maîtres des TIC. En apprenant à en comprendre l’utilité et à nous en servir d’une part,  mais en apprenant aussi à nous en passer en-dehors des moments où elles nous sont utiles.

Et rappelons-nous qu’il y a énormément plus de personnes pressées que de situations urgentes…