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Le problème du stress chronique en SST

 Paru dans Travail et santé, vol. 33 no 4, décembre 2017

Par Jacques Lafleur, psychologue

 

Le stress chronique au travail est la cause première de certaines maladies et un facteur risque important pour d’autres. Bref, il rend malade et il coûte cher. Peut-on agir en prévention?

 

Le stress au travail est responsable de souffrance, de longs arrêts de travail et de coûts faramineux pour les organisations. Par sa nature, il échappe cependant à la logique habituelle à partir de laquelle on peut poser des normes en SST pour limiter les dégâts.

La prévention en SST s’appuie en effet sur une logique selon laquelle on peut réduire les risques de maladie en réduisant l’exposition des gens à leurs causes, souvent appelés «dangers».

On a ainsi trois éléments : le danger, le risque et l’exposition.

Le danger appartient à ce qui peut affecter la santé; par exemple, le feu, les poussières ou le bruit représentent des dangers.

La notion de risque combine à la fois la probabilité d’être touché par un danger et l’ampleur de la maladie qui s’ensuivrait. Par exemple, à partir de la présence tant de particules de tel produit par centimètre cube d’air, les risques de développer telle maladie sont trop grands et on doit agir préventivement.

Lorsque ces données sont établies, on veut réduire l’exposition, c’est-à-dire soit diminuer le risque d’être touché par le danger, soit réduire l’ampleur du danger. On agit alors en protégeant l’individu du danger (dans le cas du bruit, on lui fait porter des instruments de protection auditive) ou en réduisant le danger à la source (on réduit le bruit des machines).

On a ainsi une logique qui nous mène à diminuer ou éliminer les risques en réduisant l’exposition à des dangers, soit en réduisant les dangers à la source, soit en assurant la protection des individus. Le tout s’appuie sur des mesures établies scientifiquement, lesquelles mesures mènent à l’établissement de normes définissant des seuils à partir desquelles la prévention doit s’appliquer.

On sait aussi que la prévention s’implantera d’autant mieux que l’information concernant les dangers, les risques et les mesures de protection sera communiquée aux personnes de tous les niveaux de la hiérarchie. On invitera ainsi les gens à respecter les normes et, pour créer une autre forme de motivation, on imposera des pénalités à ceux qui ne les respecteront pas.

On mettra le tout en relation avec les coûts de la prévention et avec ceux qui sont associés à la maladie qui n’aurait pas été prévenue. On tiendra aussi compte des résistances liées aux changements concrets que la prévention impose, comme un certain ralentissement dans l’exécution des tâches par exemple.

 

Le cas du stress chronique

 

Dans le cas du stress chronique, la logique de prévention SST s’applique mal. La science nous démontre bien que les stress chronique constitue un danger et, partant de là, que l’on doit agir pour diminuer l’exposition. Elle nous en indique des sources : surcharge de travail, pressions indues, absence de reconnaissance, difficultés à concilier travail et vie personnelle, manque de respect, manque de soutien, déséquilibre entre les efforts investis et la reconnaissance manifestée, harcèlement psychologique, conflits relationnels, manque de latitude décisionnelle, pour en nommer quelques-unes.

Mais il n’est pas encore possible de déterminer avec des critères mesurables des seuils à partir desquels l’une ou l’autre de ces sources de stress devient cause de maladie. Et force est aussi de constater que ces seuils sont beaucoup trop variables d’un individu à l’autre pour que l’on puisse fixer des normes universelles. Par exemple, dans un même service avec le même gestionnaire et des surcharges de travail équivalentes, le niveau de stress des individus et, conséquemment la probabilité de maladie,  peuvent varier énormément de l’un à l’autre. Où alors placer un seuil (à la surcharge de travail, au manque de respect, etc.) qui permettrait de poser des normes devant être respectées par l’employeur et comment imposer des stratégies ou des outils aux individus qui leur permettraient de se protéger de l’un ou l’autre des sources de stress? Le modèle selon lequel la prévention nous mène à garder l’exposition d’un individu à un risque donné sous un niveau clairement déterminé ne peut pas s’appliquer.

 

Oui mais quand même…

 

Cela dit, il existe des sources de stress par rapport auxquelles les dernières années ont amené des limites. Le harcèlement psychologique, par exemple. Le harcèlement psychologique n’est plus permis et on peut gagner sa cause au tribunal du travail. Ce n’est pas facile, les témoignages étant difficiles à récolter du fait de la terreur que font régner les harceleurs dans leurs services respectifs. Et une fois que le harcèlement a été démontré, le retour au travail n’est pas toujours empreint de sérénité. Si le harceleur n’est pas démis de ses fonctions, les probabilités de récidive sont immenses. Mais il y a des normes et le tribunal du travail peut vérifier si elles ont été appliquées. La surcharge de travail démontrée peut aussi faire accepter une dépression comme maladie professionnelle par la CNESST. Mais rien qui va de soi là non plus, la preuve est ardue à faire entendre.

Malgré que les maladies psychologiques créent un très grand nombre de journées d’absence au travail et que la plupart d’entre elles soient la conséquence de stress chronique lié en grande partie au travail, il n’y a que très peu de demandes qui sont reconnues par la CNESST. En fait, ce qui est actuellement reconnu comme cause de la maladie ne l’est pas en raison de sa relation au stress comme facteur de risque de maladie.

Par exemple, le harcèlement n’est pas interdit en raison de l’effet sur la santé que crée le stress qu’il engendre, mais à cause du fait qu’il a finalement été répertorié dans le domaine des agressions, tout comme le sont les menaces de mort, les menaces armées, les coups et blessures.

Autre exemple : on peut agir là où le stress est aigu, comme on tente de le faire dans la problématique des chauffeurs d’autobus. Mais, encore là, on ne vise pas directement le stress chronique : on cherche à protéger la santé et la sécurité des travailleurs qui peuvent être agressés physiquement par les passagers.

Selon la CNESST, le pourcentage de demandes acceptées avec IRR reliées aux maladies causées par le stress au travail en 2014 représente 1,44 % de toutes les demandes acceptées. De 2011 à 2014, ce 1,44% se divise en 11.4% à 13.6 % pour le stress chronique et de 86.2 à 88.3% pour le stress aigu, lui-même la conséquence à 90% d’exposition à un événement traumatisant, à des coups, à des menaces armées ou à des menaces verbales.

Le nombre total des lésions acceptées attribuables au stress chronique, lui,  varie autour de… 135 par année pour la même période, l’absence au travail durant en moyenne 268,6 jours et nécessitant des débours moyens en IRR de 22,753$. C’est 0,20% de l’ensemble des lésions acceptées avec IRR… (1)

Or, n’importe quel médecin de famille vous dira que, sur 1,000 arrêts de travail qu’il a signés, il y en a énormément plus que 2 qui sont directement reliés au stress chronique au travail.

 

Peut-on imposer la prévention?

 

On se retrouve alors avec un facteur de risque important, scientifiquement démontré, nettement identifié comme la cause de longs arrêts de travail, et ce chez énormément de personnes, mais sans que l’on ne soit véritablement en mesure, sur le plan scientifique, de fixer des seuils d’exposition.

Pour compliquer les choses, le niveau de stress d’un individu dépend de l’ensemble de ses causes, dont certaines sont issues de sa vie personnelle. Comment arriver à déterminer que c’est le stress au travail qui a rendu malade et qu’il incombe à l’employeur de mettre en place tel ou tel facteur de protection?

S’il s’avère impossible de fixer des normes de prévention contre le stress chronique de la même façon qu’on y arrive en ce qui concerne le bruit, il reste cependant des moyens d’y parvenir par des campagnes de sensibilisation tant chez les employeurs et les syndicats que chez les gens. Ces derniers y gagnent en termes de bonheur et de santé, les employeurs y gagnent en termes de diminution des pertes de productivité liées aux absences pour maladie qui coûtent une fortune (2).

Tout le monde y gagne aussi du fait que les principales causes du stress au travail amènent un désengagement à plus ou moins long terme des gens. Surchargé de travail et sans reconnaissance ni soutien, on n’a plus le cœur à l’ouvrage, on ne s’implique plus vraiment, on perd le sentiment d’appartenance. Cela a un effet dévastateur sur la productivité des organisations tout autant que sur le bonheur au travail.

Même si on ne peut pas vraiment fixer de normes, on peut quand même mesurer des charges de travail adéquates, écouter ce que les gens ont à dire, favoriser une culture basée sur le respect, témoigner de la reconnaissance, laisser une autonomie professionnelle stimulante, offrir du soutien, assurer un environnement de travail adéquat, favoriser un bon équilibre travail-vie personnelle, offrir des possibilités d’avancement équitables. Tout cela a pour effet de faire diminuer de façon importante le stress chronique et, par conséquent, les absences pour maladie ainsi que la perte de productivité associée à la maladie et au désengagement.

Si on ne peut pas imposer la prévention en s’appuyant sur des normes, on peut toutefois s’appuyer sur la science et le bon sens pour sensibiliser les gens et les organisations aux méfaits du stress et les inviter à la prudence et à l’action. Comme pour beaucoup d’autres actions en santé/sécurité, il semble cependant que ce soit encore perçu davantage comme un obstacle que comme une facteur favorable en ce qui concerne la productivité.

Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage...

 

1. http://www.cnesst.gouv.qc.ca/Publications/300/Documents/DC300-321web.pdf

 

(2) http://www.iusmm.ca/hopital/sante-mentale/en-chiffres.html