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Quelques idées pour domestiquer la procrastination

 

Par Jacques Lafleur, psychologue

Paru dans Travail et santé, vol 34 no 2

Juin 2018

 

La procrastination peut avoir ses bons côtés, mais elle a généralement mauvaise presse. Voici quelques idées et quelques moyens de la vaincre quand elle nous nuit de façon récurrente ou chronique.

 

Le terme  procrastination désigne le fait de remettre encore et encore à plus tard une action qui, si elle était faite dans l’immédiat ou du moins à court terme, nous éviterait des conséquences indésirables ainsi que des émotions plus ou moins pénibles. Alors, comment peut-on arriver à se mobiliser pour éviter les désagréments que notre retard à faire les choses nous fait vivre?

En fait, il n’y a pas de solution unique à la procrastination, et ce tout simplement parce que différentes raisons peuvent nous faire remettre à plus tard ce qui semble s’imposer. Tout bon remède dépend d’un bon diagnostic. Nous y reviendrons plus loin.

Par ailleurs, certaines stratégies peuvent nous aider, indépendamment de la cause de notre résistance à passer à l’action. On peut par exemple plonger, commencer, se mettre en action, s’attaquer à du concret plutôt que de fuir encore et encore au gré d’une émotion paralysante. On peut aussi se stimuler en imaginant la chose faite, le résultat atteint; on est en effet davantage motivé par le but que l’on vise que par le désagrément ou la répulsion que nous inspire ce qu’il faut faire pour l’atteindre. Par exemple, on imagine le rapport fait et remis, la pièce débarrassée de tout ce qui y traîne, la table libre des papiers qui l’encombrent, voilà qui est plus stimulant que de baigner dans l’émotion négative que nous fait vivre à répétition la situation inachevée.

Si c’est l’ampleur de la tâche qui nous décourage, on peut programmer l’exécution du travail en étapes et se fixer un premier petit but. D’autre part, on peut aussi s’aider à se mettre en marche en prenant vraiment conscience du malaise que l’on vit encore et encore quand on pense à ce que l’on va de toute façon finir par faire. Pourquoi étirer le malaise?

Le fait de prévoir une récompense pour célébrer sa réussite est une autre façon de s’aider à passer à l’action; ce petit cadeau s’ajoute à la récompense que constitue en lui-même le fait d’avoir terminé ou d’avoir avancé. Une autre stratégie consiste à voir si certaines choses ne pourraient pas rendre le travail plus agréable (de l’aide, de la musique, par exemple).

Si on se réserve du temps, si on fixe un moment pour le consacrer à la chose en question, on remettra alors à tel moment précis, plutôt que de remettre à un vague «plus tard», ce qui nous joue souvent des tours.

Le fait d’annoncer à d’autres personnes notre intention de régler la difficulté en question d’ici tel moment, déjà déterminé pourrait aider à ne pas se dérober, comme si on avait donné sa parole. On peut aussi écarter le plus possible les sources de distraction, les choses plus agréables qui pourraient nous tirer hors de notre but. Un peu comme si on se constituait «prisonnier» de notre tâche durant le temps que nous avons choisi de lui consacrer.

Il reste aussi la possibilité de déléguer. Ce n’est pas parce qu’il nous incombe de produire une déclaration de revenus qu’il nous revient de faire le travail qui y mène. On peut payer des gens pour ça. Même chose pour le ménage, certaines rénovations et une foule d’autres choses dont on pense qu’elles nous reviennent mais qu’on pourrait déléguer. On n’en tirera peut-être pas de gloire personnelle, mais on cessera de se faire du mauvais sang!

Qu’est-ce donc qui nous fait remettre à plus tard? Une stratégie plus psychologique consiste à prendre conscience de ses résistances; si on diminue la résistance, il sera plus facile de s’attaquer à ce à quoi on résiste. En ce sens, voici quelques causes de résistance.

Pourquoi plus tard?

On sait qu’une liste trop longue de choses à faire a un effet global décourageant, lequel se répercute ensuite sur chacun de ses éléments; de plus, le fait de se retrouver devant un très grand désordre ou quelque chose de très confus augmente la difficulté à vaincre l’inertie.

La peur de l’échec peut avoir un effet paralysant en ce qui concerne la mise en route d’une action; le sentiment d’être contraint de faire des choses dont on croit qu’elles ne nous reviennent pas crée une protestation plus ou moins consciente qui peut se traduire par de la procrastination.

Il y a aussi le manque de moyens concrets ou de savoir faire pour réaliser une tâche qui peut nous faire délaisser temporairement  notre intention d’agir et nous faire passer à autre chose, mais sans que cela ne nous mène à chercher les moyens qui nous manquent ou à développer le savoir faire nécessaire, si bien que le problème perdure.

On peut aussi remettre l’exécution d’une tâche à plus tard à cause de son caractère a priori déplaisant ou parce que l’échéance est trop lointaine, ce qui a un effet démobilisant chez des gens ayant besoin d’une bonne dose d’adrénaline pour arriver à se mobiliser.

Évidemment, plusieurs de ces éléments peuvent aussi se combiner et contribuer ensemble à la procrastination.

Notre état général a aussi une influence : une grande fatigue ainsi qu’une humeur plus ou moins dépressive auront un effet démobilisant, amplifiant l’inertie face au passage à l’action déjà gonflée par les éléments énumérés plus haut. De plus, on a ici un effet boule de neige, l’accumulation des choses à faire ou l’anxiété liée à un échec possible pouvant facilement augmenter la fatigue ou les sentiments dépressifs.

Voici quelques directions qui peuvent nous tirer du pétrin.

 

Il y en a trop!

Une trop grande accumulation de choses à mettre en ordre a souvent pour effet de retarder indûment le moment de faire le ménage. Tout se passe comme si, se sentant écrasé sous le poids de la tâche, on n’arrivait pas à en entreprendre ne serait-ce qu’une partie. Il peut aussi arriver qu’on ne sache pas par quel bout prendre ça, par où commencer.

La première idée serait sans doute de clarifier ce qu’on a à faire. On attaque le monstre en en se faisant un plan de match. Quel objectif mettre en premier?, puis en deuxième?, etc. Puis on établit une sorte de liste de plus petites tâches, qu’on peut ensuite commencer à ordonner avant de se mettre en action. Les stratégies de classification et d’organisation faisant appel à l’intelligence, elles viennent affaiblir quelque peu l’émotion qui nous démobilise et, par là, elles diminuent la force d’inertie qui nous empêche de nous mettre en action. Un éléphant ça se mange, mais une bouchée à la fois dit le dicton populaire. Reste à planifier des étapes pour arriver à savoir au moins par où commencer.

Ensuite, on peut s’aider en se fixant une durée de travail relativement courte. On ne s’oblige pas à terminer, ce qui serait à première vue se condamner à quelque chose de pénible pendant longtemps, importante cause de procrastination. On attaque doucement le programme qu’on s’est fait, on avance d’un pas. Oui, bien sûr, on voudrait avoir fini au plus vite, on voudrait être débarrassé. Mais c’est justement la lourdeur de ce qu’il faut faire pour avoir enfin fini qui nous fait remettre à plus tard. Alors, allons-y mollo, une bouchée à la fois.

Alors on passe à l’attaque, on commence. Au programme : accomplir une petite chose, pendant une courte période. Le fait de passer à l’action a aussi pour effet de mobiliser dans notre cerveau des réseaux de neurones qui viennent affaiblir le pouvoir inhibiteur de l’émotion qui nous faisait fuir l’action. Une fois qu’on a commencé, on est devant quelque chose de concret, la plupart du temps moins pénible que ce que nous faisait croire l’émotion démobilisatrice. On arrive la plupart du temps à la conclusion que c’est moins pire que ce qu’on croyait, et il arrive souvent qu’on puisse allonger la période prévue : quitte à y être, profitons-en!

À la fin de la période de travail, notre accomplissement aura aussi un effet encourageant : c’est moins pire qu’on pensait, et on est au moins un peu satisfait d’avoir avancé. Il sera plus facile de poursuivre. Une petite récompense serait aussi la bienvenue.

Attention ici à bien conserver ce qui a été fait. La vie continue, alors les papiers continuent de rentrer, la vaisselle d’être utilisée, etc. Si par exemple, on a utilisé la première étape pour débarrasser la table de l’amoncèlement de papiers qui l’encombrait et pour les classer en vue d’un traitement futur, on ne remet rien sur la table! Tout nouveau papier sera immédiatement classé avec les autres et traité avec eux quand on en sera à cette étape.

D’un côté préventif, on cherchera de la même façon à éviter d’accumuler du retard là où on a habituellement de la difficulté à se mettre à la tâche quand il y a trop à faire: paiement de factures, rangement, ménage, boîte de réception des courriels, papiers pour l’impôt, etc. Une bonne organisation et un peu de discipline sont des clés utiles pour éviter que le mal ne s’installe.

 

Le sentiment d’être contraint

Si certaines personnes se débarrassent le plus vite possible des tâches qui leur sont imposées, d’autres opposent une sorte de résistance passive à leur oppresseur. Par ailleurs, le fait de remettre à plus tard ne fait le plus souvent qu’entretenir longtemps un sentiment de frustration jusqu’à ce que s’ajoute un sentiment... d’urgence!

Ici, il convient de démêler si, de fait, il nous revient ou non de faire ce qui semble être exigé de nous. Il sera utile aussi de vérifier les conséquences prévisibles de cet effort de clarification. Ceux qui nous refilent leurs responsabilités ne sont en effet pas toujours très enclins à les reprendre et on pourrait craindre qu’ils ne répondent de façon désagréable ou même hostile à nos demandes de clarification.

Si les tâches ne nous reviennent pas, refusons de les faire et annonçons notre décision. Si elles nous incombent, alors il sera utile de passer à l’action plutôt que de se faire croire encore et encore que la situation est injuste.

Rien n’empêche non plus de faire des échanges avec d’autres pour qui la tâche est moins lourde et qui seraient heureux de nous refiler certaines choses qui, nous, ne nous rebutent pas.

 

L’anxiété liée à la tâche

La peur peut avoir tout autant un effet mobilisateur qu’un impact paralysant. Certaines personnes vont entreprendre longtemps à l’avance un travail qui leur fait peur, se donnant ainsi toutes les chances d’arriver à un résultat de qualité; d’autres vont au contraire jouer à l’autruche et repousser le plus longtemps possible le moment de s’y mettre.

Clarifier ce qui nous fait peur ou encore demander de l’aide sont des gestes qui peuvent nous faire passer à l’action. Une fois apprivoisée, la peur perd de son impact inhibiteur et l’aide peut nous soutenir et nous aider à reprendre courage.

 

Le manque de moyens concrets ou de savoir faire

Le fait de ne pas savoir comment faire ce qu’on voudrait voir accompli ou de ne pas disposer des outils ou ressources nécessaires pour y arriver peut nous faire repousser encore et encore le moment d’agir. Mais il rien ne sert à rien de croire que, par magie, on va finir par disposer ce qui nous fait défaut. Eh non; l’idée encore ici est de clarifier ce qui nous manque pour cesser de retarder l’action, et de passer à l’action par rapport à ce manque. Disposant enfin de ce dont on a besoin, on sera alors prêt à atteindre notre objectif.

 

Le caractère déplaisant

Le fait qu’il nous déplaise de faire certaines choses reste une mauvaise excuse pour en retarder encore et encore l’exécution dans la mesure où, évidemment, cette procrastination reste source de désagrément ou de conséquences néfastes. Il vaut mieux, encore ici, penser stratégie. On cherchera comment faire pour que ce soit plus agréable, moins long, comment se faire aider ou à qui déléguer.

 

Une échéance lointaine

«Le but nous inspire, l’échéance nous motive» dit le dicton. Sans doute, mais on a beaucoup de buts. Alors ceux qui n’ont pas d’échéance proche peuvent attendre... jusqu’à ce que ça finisse par presser d’y voir!

Il est utile de planifier et de réserver des plages de travail dans son agenda pour faire avancer le travail avant que l’échéance ne vienne nous faire crier «au secours». Le même problème se pose aussi aux personnes qui n’ont que peu à faire et qui, partant de là, peuvent se dire que rien ne presse jusqu’à ce que...ça devienne urgent!

 

Pour conclure

C’est un réflexe normal que de vouloir fuir ce qui nous déplaît. Et c’est ce qu’on fait quand on remet à plus tard. Par ailleurs, il n’y a rien d’agréable non plus à se retrouver enseveli sous un amas de choses en retard ou coincé par une échéance. Dans le premier cas, le désordre continue de s’accumuler et, dans l’autre, un stress intense nous tient jusqu’à ce qu’on ait atteint la ligne d’arrivée, à l’extrême limite du temps alloué pour produire ce qu’on devait livrer.

Alors, entre deux maux, on choisit le moindre?...