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L’anxiété : une limitation inutile

 

Paru dans Travail et santé, vol. 34 no 1, mars 2018

 

Par: Jacques Lafleur, psychologue

 

La peur est l’une des grandes émotions qui motivent nos actions. Elle prend différents noms mais elle incite toujours fortement à éviter de s’exposer à son objet. Il est sans doute normal de vouloir rester en sécurité mais, quand on a peur pour rien, on dépense beaucoup d’énergie et on se limite inutilement.

Une peur récurrente, non fondée et ayant un impact limitatif important sur la vie s’appelle anxiété. Au niveau clinique, l’anxiété se subdivise en différentes catégories : phobies spécifiques, trouble obsessionnel compulsif, état de stress post-traumatique, trouble panique, anxiété sociale, anxiété généralisée. Tous ces sous-types se distinguent par des caractéristiques qui leur sont propres, mais tous se révèlent des manifestations de peurs non fondées.

En pratique, et bien malgré elle, la personne anxieuse grossit démesurément la probabilité que ce qu’elle craint n’arrive et/ou elle amplifie le malheur appréhendé. Par exemple, la personne phobique en ce qui concerne les avions voit ce moyen de transport comme épouvantablement dangereux, alors que la probabilité d’accident est infime;  celle qui a peur des araignées amplifie les conséquences possibles de toute rencontre avec ces bestioles, les araignées ne pouvant en effet pas nous faire beaucoup de mal.

Parfois, ce que craint la personne anxieuse est clair : l’avion pourrait tomber! Parfois, ça ne l’est pas, comme chez les gens qui je ne savent pas vraiment ce qui se passerait si leur travail n’était pas parfait, mais qui préfèrent ne pas prendre de risque...

 

Émotion et capacité de recul

 

L’ampleur de la peur engendrée par l’anxiété peut faire perdre la capacité de recul. Une forte émotion engendre en effet un influx nerveux qui vient bloquer les régions du cerveau qui font habituellement passer les actions intelligentes avant des réactions émotionnelles inappropriées. Par exemple, quelqu’un qui aurait frisé la noyade pourrait se retrouver incapable d’avoir de l’eau sur la tête. Alors qu’il sait bien qu’il n’y a aucun danger à prendre une douche, ce qui fait appel à l’intelligence), il se retrouve pourtant totalement incapable de mettre sa tête sous un jet d’eau, son émotion le paralysant.

Ce mécanisme s’active aussi quand l’émotion concerne le plaisir. Si vous faites partie des gens qui veulent perdre du poids, sachez que vous le retrouvez chaque fois que vous cédez à vos plaisirs alimentaires coupables : comme par hasard, vous oubliez temporairement votre objectif ou vous vous dites que ça peut attendre à demain. Quitte à vous sentir coupable... tantôt!

 

La peur apprise

 

En ce qui concerne l’anxiété, il reste difficile de déterminer la part qui appartient à l’hérédité. Par ailleurs, il ne fait pas de doute que les apprentissages jouent un grand rôle.

On peut distinguer les apprentissages brutaux et les apprentissages par répétition. Un événement suscitant une peur démesurée peut d’un seul coup laisser un état de stress post-traumatique, si bien que, par exemple, on se met à ne plus pouvoir prendre la voiture suite à un accident. D’autre part, la répétition de consignes imposant des règles à suivre pour éviter le pire peuvent aussi laisser une anxiété, même si elles ne sont pas fondées. De nombreuses personnes apprennent ainsi à tout faire pour ne pas déplaire, alors que le pire qu’elles ont appris à éviter n’existait en réalité que dans la tête de leurs parents. L’équation selon laquelle «déplaire = être rejeté» ne tient en effet pas la route. À moins, évidemment, qu’on en fasse une habitude... L’anxiété des parents peut ainsi, par la répétition, se transmettre aux enfants, et ce peu importe ce sur quoi elle porte.

 

Un mécanisme de pensée bizarre

 

La pensée se base habituellement quelque peu sur les probabilités. On ne peut jamais être certain de rien mais, dans la mesure où rien n’indique que quelque chose de grave soit arrivé ou pourrait se produire, on ne s’en fait pas. On prend des précautions, comme de s’assurer contre le feu, de ne pas laisser traîner les allumettes, etc., mais on ne vérifie pas aux dix minutes s’il y a un incendie chez soi! Il en va de même avec tout ce qui pourrait se produire : on réduit les risques, on use de prudence et on se dit que, si quelque chose arrive, on s’ajustera. Mais comme ça reste peu probable, on ne se stresse pas avec ça.

L’anxiété fonctionne autrement. Quand une personne vit de l’anxiété, elle voudrait être certaine que ce qu’elle craint n’arrivera pas. Alors elle prend toutes les précautions. Dans certains cas, ça fonctionne : si on ne prend pas l’avion, il ne nous arrivera évidemment rien en avion.

Mais, dans d’autres cas, les efforts d’évitement ne peuvent pas totalement écarter le faux danger qui est perçu comme réel. Par exemple, si on est phobique en ce qui concerne les chiens, on ne peut pas totalement éviter d’en rencontrer. Ou, malgré notre perfectionnisme, on peut quand même toujours recevoir des reproches et rien n’indique à l’hypochondriaque qu’il est totalement à l’abri d’un cancer. Malgré toutes ses précautions, la chose que craint la personne anxieuse peut donc se produire. Et, curieusement, parce qu’elle ne peut pas être certaine que ce qu’elle craint ne se produira pas, elle est presque certaine que cela va se produire. Pour elle, il reste à savoir quand. Alors, elle surveille le moindre indice.

Par exemple, la personne qui est anxieuse de rouler sur les autoroutes essaie le plus possible de les éviter. Quand, par malheur, elle doit s’y aventurer, elle le fait dans un état de tension important. Arrivée saine et sauve à destination, elle ne conclura pas que, somme toute, ce n’était pas dangereux; elle conclura que, cette fois, elle l’a échappé belle, tout en croyant qu’elle n’aura pas toujours cette chance. Et elle continuera le plus possible d’éviter les autoroutes...

 

Résumons-nous

 

On appelle anxiété les peurs non fondées qui ont un impact limitatif important sur la vie.

Vivre de l’anxiété, c’est croire à tort que ce que l’on craint a toutes les chances de se produire et que cela arrivera un jour ou l’autre malgré que l’on prenne toutes les précautions pour l’éviter.

Dans beaucoup de situations, malgré une prudence extrême et très limitative, il reste impossible d’être certain qu’on pourra éviter la catastrophe qu’on appréhende. Alors, on croit à tort que ça va arriver, et cette crainte nous envahit au point de nous faire perdre notre capacité de recul. Toute peur engendrant une réaction biologique de stress, nous voilà tendu tant que la situation n’est pas passée, et parfois pendant une assez longue période après. Par le phénomène d’appréhension, le même stress nous affecte même avant que l’on ne soit confronté à la situation, parfois sur une longue période.

Notre désir absolu d’évitement reste la principale source du maintien de l’anxiété, parce qu’il nous empêche de prendre conscience du caractère non fondé de notre peur.

 

L’anxiété au travail

 

Au travail, les personnes souffrant d’une forme ou l’autre d’anxiété continuent d’en souffrir. Les personnes phobiques, celles qui souffrent de trouble panique, celles qui ont un trouble obsessionnel compulsif ou qui vivent un état de stress post-traumatique restent affectées. Mais l’évolution du monde du travail a aussi fait grandir les rangs des personnes qui souffrent d’une forme d’anxiété qui est en lien avec la peur de l’autorité ou avec la peur du jugement des autres. Cette dernière peut être apparentée à ce que l’on appelle anxiété sociale ou à un autre concept résumé par les mots anxiété de performance.

Les dernières décennies ayant vu apparaître une certaine généralisation de la surcharge de travail, beaucoup d’employeurs tant publics que privés ne disposent plus d’un nombre d’employés suffisant pour faire le travail en temps régulier. Plutôt que de l’admettre, de très nombreux employeurs ont fait porter le manque à produire à leur employés, supposément pas assez performants. De plus, les endroits où on trouve une majorité de bourreaux de travail sont aussi propices à créer de l’anxiété chez ceux et celles qui ne sont pas complètement dévoués au travail.

Ne pouvant pas supporter un jugement négatif sur leur personne ou leur productivité, les gens souffrant d’anxiété de performance s’imposent de venir à bout de la surcharge, et... nous en avons vu et continuons d’en voir un grand nombre dans nos bureaux, souffrant d’épuisement professionnel.

 

Quelques pistes pour s’aider

 

Les activités qui ont un impact positif sur le stress en ont aussi un sur l’anxiété : par exemple, dormir suffisamment, faire de l’activité physique et pratiquer des exercices de relaxation ou de méditation ont un effet régulateur.

La peur amène notre attention vers l’extérieur de nous, vers ce que nous craignons : le chevreuil surveille le loup, pas sa propre réaction! Or, nous, nous pouvons nous intéresser à ce qui se passe en nous quand nous vivons de l’anxiété. Ce que nous craignons est-il vraiment dangereux?, que pourrait-il vraiment se produire?, quelles sont les probabilités que cela arrive?, quelles seraient les vraies conséquences? Ces questions restent fondamentales pour distinguer la peur, qui est utile pour prévenir les véritables dangers, de l’anxiété qui ne sert à rien tout en nous faisant vivre des émotions inappropriées, lesquelles nous imposent des comportements d’évitement qui nous limitent. Si l’anxiété est en cause, ces questions permettent donc de constater que nous avons peur pour rien et nous aident à prendre la décision de nous délivrer des limites que nous nous imposons inutilement.

Dans la plupart des cas, le but est d’arriver à aborder ce que l’on craint comme on aborde les autres choses de la vie, c’est-à-dire que l’on vit en étant prudent, mais sans s’inquiéter de tout ce qui pourrait éventuellement mal tourner. L’idée est d’arriver à tolérer l’incertitude, à bien vivre avec le fait que l’on n’est pas absolument certain que tout va bien se passer.

Le réflexe premier des gens anxieux est d’éviter le plus possible d’être confrontés à ce dont ils ont peur. Or, cela maintient l’anxiété. Un remède efficace est de s’exposer volontairement à ce dont on a peur sans véritable raison.

La plupart des traitements proposent de commencer en s’exposant d’abord à de petites choses : par exemple, on prendra l’autoroute un samedi matin sur une très petite distance, on sortira, et on reviendra à son point de départ en prenant l’autoroute en sens inverse. Et on recommencera un certain nombre de fois.

Cet exercice permettra d’arriver à aborder ce petit tronçon d’autoroute sans anxiété et on sera alors prêt, plus tard, à rouler un peu plus longtemps dans des conditions équivalentes. Puis on ira un soir, où il risque d’y avoir une circulation plus intense, on roulera plus loin, etc. Le fait de le faire par choix, avec l’objectif de se débarrasser de l’anxiété, est la clé. Si on attend d’être obligé, ça ne donnera pas de résultat (à moins que l’on y soit obligé à tous les jours...).

 

L’anxiété de performance

 

En ce qui concerne l’anxiété de performance, la démarche est la même. D’abord s’assurer que ce que l’on craint n’est ni probable ni dangereux, c’est-à-dire que notre peur de déplaire, de faire une erreur, de ne pas satisfaire à toutes les exigences, etc. nous fait vivre des émotions sans fondement et tout en nous limitant à des comportements nuisibles pour nous.

Ensuite, on s’entraîne à faire des gestes qui nous font un peu peur mais qui ne nous attireront visiblement pas d’ennuis, ce que nous avons vérifié à la première étape. Par exemple, on fait volontairement une petite erreur sans conséquence, on ne se porte pas volontaire pour une tâche que d’autres pourraient assumer, on demande de reporter une échéance, etc.

L’idée est donc de prendre conscience de la peur, de vérifier qu’elle n’est pas vraiment fondée et de faire des gestes pour s’y exposer, jusqu’à ce qu’on ne se sente plus limité, c’est-à-dire jusqu’à ce que la peur ait disparu. Car, oui, ce genre de peur peut disparaître. D’ailleurs, si vous voulez bien vous en donner la peine, vous verrez qu’il y a des choses dont vous aviez peur à une certaine époque de votre vie et que vous abordez maintenant de façon beaucoup plus sereine.

Lorsque je demande à des personnes qui souffrent d’anxiété de performance s’ils sont de bons employés, s’ils s’engageraient, ils me répondent tous «oui». Et ce n’est pas à cause du «plus» qu’ils s’obligent à produire. C’est à cause de la compétence et de l’implication qu’ils se reconnaissent. Le plus qu’ils s’imposent sert le plus souvent à éviter de s’exposer à ce que leur anxiété leur fait craindre sans raison. Il n’ajoute pas vraiment de plus-value au travail qui était déjà très satisfaisant.

Cette prise de conscience constitue un bon point de départ à un changement.