La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tant de privilèges qui passent inaperçus!

 

On nomme habituation hédoniquele processus par lequel on s’habitue tellement bien à ses privilèges qu’on les prend pour acquis et qu’on ne les apprécie plus vraiment. Et on perd ainsi de belles occasions d’en tirer du bonheur. Heureusement, on peut changer ça...

 

 

Il y a maintenant vingt ans que la discipline appelée psychologie positivea été officiellement acceptée dans les approches reconnues par l’American Psychological Association. C’est un domaine de la psychologie qui vise le développement optimal des individus. On n’y recherche moins des traitements contre l’anxiété ou la dépression, par exemple, que des moyens concrets d’aider les gens à réaliser leur potentiel ou à augmenter leur sentiment de bien-être. 

Parmi ces moyens, on trouve le développement d’une conscience beaucoup plus aiguë de l’ensemble des choses qui vont bien en soi et dans sa vie. Le but n’est évidemment pas de nier que certaines choses vont mal ou pourraient s’améliorer, ni de se faire croire que tout va bien aller demain. Il est de se donner une base plus réaliste pour voir la vie que celle qu’aurait tendance à  nous laisser la tendance naturelle à mettre l’accent surtout sur ce qui ne va pas et à négliger ainsi dans sa pensée tout ce qui va bien. 

Or, énormément de choses vont bien...

 

Attention, c’est peut-être grave!

 

Selon les évolutionnistes, les animaux qui savent mettre l’accent sur ce qui les menace ont plus de chances de survie que ceux qui en sont incapables. Nous aurions ainsi hérité de cette tendance à privilégier de nous centrer sur les choses qui vont mal plutôt que sur celles qui vont bien.

Nous avons aussi développé un cerveau capable d’anticipation, ce qui fait en sorte que nous pouvons constamment penser à ce qui ne va pas, à ce qui pourrait aller mieux ou à ce qui pourrait mal tourner. Comme nous vivons dans un monde extrêmement compliqué, nous pouvons alors facilement être absorbés dans des pensées un peu sombres, anxieuses ou sources de frustration concernant le travail, la santé, les proches, l’argent, l’habitation, le transport, les projets, le climat, la politique, etc.  

L’anticipation et la capacité de penser à des éléments du passé augmentent la propension à occuper sa pensée avec des éléments qui maintiennent des émotions comme la peur, la culpabilité, la frustration, ce à quoi échappent la plupart des mammifères. Quand une souris échappe au chat qui la poursuivait, ce dernier revient en effet rapidement à son état habituel. Pas de conclusion à l’effet qu’il est un chat incompétent, qu’il risque de mourir de faim, qu’il sera la risée des autres, qu’il est injuste que les souris puissent passer par de si petits orifices pour se sauver. C’est fini, il passe à sa réalité du moment.

Ce n’est évidemment pas notre cas. On peut bien sûr se concentrer sur sa réalité présente, notamment quand on est en train de faire quelque chose qui demande suffisamment de concentration pour qu’on ne puisse pas en même temps penser à autre chose. Mais dans tous les cas où on peut faire une activité sans devoir y consacrer toute son attention, les chances sont grandes que notre cerveau amène nos pensées sur les choses qui nous inquiètent ou sur des choses à régler. C’est vrai pendant qu’on voyage dans le métro, par exemple, mais c’est aussi vrai quand on conduit une voiture, ce qui ne demande toute notre attention que lorsqu’il se passe des choses inhabituelles. 

Après une promenade, par exemple, on pourrait éventuellement se souvenir de ce à quoi on a pensé pendant qu’on marchait, mais les risques sont grands qu’on en oublie des bouts. De plus, on pourra dire qu’on a pensé à ceci ou à cela mais, en réalité, il est probable que ces pensées soient venues automatiquement et aient été traitées automatiquement, de la façon dont on pense à ces choses habituellement. On n’était pas vraiment là pour planifier ou surveiller le tout. La formulation il m’est passé par la tête queest plus proche de la vérité que j’ai pensé à

Et il est probable que ce qui nous est passé par la tête concernait davantage ce qui pourrait aller mieux que ce qui va bien... 

 

Penser à des solutions

 

Convenons-en, certaines choses de nos vies pourraient être améliorées et il est aussi possible que, pendant une certaine période, certaines autres aillent mal et même très mal. Il serait malsain de faire comme si absolument tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La psychologie positive ne s’inspire en rien du courant de la pensée positive, dont le principes et pratiques ne sont pas soutenues par les ordres professionnels dont les psychologues doivent être membres pour avoir droit de pratique.

Il est cependant utile ici de distinguer une démarche de solution de problème d’un processus de rumination, aussi inutile qu’infructueux. Il est aussi avantageux de reconnaître que, si quelque chose va mal, ça ne signifie pas que tout aille mal et qu’il soit impossible d’être heureux tant que ça ne sera pas réglé. On se trompe soi-même quand on résume sa vie à ce qui va mal.

La démarche de solution de problème passe par une réflexion, un choix de solution, une action éclairée, un investissement d’énergie, une évaluation des résultats et, selon le succès obtenu, un sentiment de satisfaction ou une reprise de la démarche qui tient compte de ce qu’on aura appris. La rumination fonctionne autrement. Les idées tournent dans la tête, chaque solution envisagée amenant de nouveaux problèmes. Ou encore on se réconforte avec des solutions qu’on n’osera par ailleurs jamais appliquer. Ruminer donne le sentiment de chercher des solutions au problème, mais en fait nos pensées tournent en boucle autour d’idées qui ne tiennent pas compte de la réalité. On la décrit souvent par l’image du hamster faisant tourner sa roue dans sa cage. Pas étonnant que ça ne nous mène pas très loin.

 

L’habituation hédonique

 

La tendance naturelle à se concentrer sur les choses menaçantes ou insatisfaisantes diminue de beaucoup la capacité à être heureux de ce qui va bien. Si l’acquisition d’un nouveau bien de consommation que l’on convoitait suscite de la joie, le fait que l’on dispose de tous nos autres biens ne provoque rien de particulier. Tout se passe comme si ce qui va bien était un dû, un acquis, normal. La disparition d’un mal de tête est vu comme heureux, mais l’état habituel de ne pas avoir mal à la tête n’est pas source de plaisir particulier. Une panne d’électricité qui perdure peut nous faire vivre des moments très désagréables, mais le fait de disposer d’électricité à tous les autres moments est rarement vu comme un privilège dont on pourrait se réjouir. 

On trouve une variété d’aliments plus grande à l’épicerie que celle dont Louis XIV disposait à Versailles. On se déplace plus vite que lui dans nos voitures, on a énormément plus de musique que lui au bout de notre doigt, on a la télé, bref tout ne va pas si mal.

On utilise tout cela, bien sûr, on en profite concrètement; mais en profite-t-on psychologiquement? Est-on heureux des privilèges qui sont les nôtres jour après jour? Prend-on souvent conscience des qualités de nos proches, de ce qu’ils font pour nous? Ou pense-t-on le plus souvent à ce qui est insatisfaisant?

On nomme habituation hédoniquela tendance à ne plus être vraiment conscient de ce qui va bien, à le considérer comme normal, acquis. «J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant» écrivait Jacques Prévert. C’est notamment cette tendance spontanée que veut contrer la psychologie positive.

 

Exercices formels

 

D’un point de vue pratique, la psychologie positive propose des exercices formels, faits dans des moments réservés à cet effet, un peu comme on fait des exercices de physiothérapie. Elle invite ensuite à intégrer ce qui est ainsi pratiqué dans de nombreuses situations concrètes du quotidien.

L’exercice formel qu’on retrouve le plus souvent consiste à prendre du temps tous les soirs au coucher pour se remémorer au moins trois choses agréables,  privilèges ou chances qu’on a eus durant la journée. Pas nécessairement de grandes choses, mais des choses du quotidien : un succès, un sourire, une chance, quelque chose que quelqu’un a fait pour nous (même si cette personne le fait régulièrement), quelque chose qu’on a fait pour les autres, ou simplement un privilège usuel comme de pouvoir disposer de l’eau courante, d’être au chaud dans un lit confortable, d’avoir des proches, d’avoir des qualités, des compétences, d’être apprécié par ceux qui nous apprécient, etc. 

Quelqu’un appelait ces choses ordinaires des cadeaux de la vie; c’est une façon de voir qui permet de s’en réjouir davantage que lorsqu’elles nous apparaissent comme des droits acquis sans intérêt particulier, dont on souhaiterait d’ailleurs avoir en quantité ou qualité supérieures. 

Une des stratégies qui permettent de mieux prendre conscience de ses privilèges consiste à imaginer qu’on les a perdus. Perdre l’eau courante, l’un ou l’autre de ses proches, l’efficacité du chauffage, son emploi, la capacité de pouvoir répondre à ses besoins de base, la santé, etc. Tout à coup, ça devient plus précieux... 

Un autre exercice formel, la cohérence cardiaque (1), concilie un rééquilibrage du fonctionnement des branches sympathique et parasympathique de notre système nerveux autonome avec la prise de conscience des aspects positifs de notre vie. Il s’agit d’adopter une position physique confortable et de diriger son attention sur son cœur, de respirer lentement (5 secondes d’inspiration suivies de 5 secondes d’expiration) et de penser à des éléments de sa vie dont on peut être heureux, qu’on peut considérer comme des privilèges, par rapport auxquels on peut avoir de la reconnaissance, qui «ouvrent le cœur», comme nous le suggèrent les fondateurs de la méthode à l’Institut HeartMath (2). Les bénéfices antistress sont grands.

La plupart des méthodes de méditation facilitent elles aussi la prise de conscience des contenus automatiques de notre pensée puisqu’elles invitent à être présent à sa respiration ou à des parties de son corps, par exemple, et à y ramener sa pensée dès qu’on s’aperçoit de ce qu’elle est partie ailleurs. Et elle part ailleurs assez rapidement... Mais, au moins, durant l’exercice, on prend conscience de ce phénomène et on apprend à ne pas s’attarder à ces contenus qui arrivent sans qu’on ne les ait invités.

 

Exercices non formels

 

Ce type d’exercices formels gagne à être complété par d’autres qu’on va intégrer dans le courant de la journée. Comme on peut  prendre conscience de ce qui va bien à chaque moment de la vie, on a de multiples occasions d’apprendre à contourner la tendance spontanée de notre cerveau à négliger de l’apprécier. Il ne s’agit évidemment pas de virer fou avec ça, mais bien de progresser à son rythme vers une conception plus réaliste de la vie. 

Prendre une douche apporte une forme de plaisir et permet de se rappeler qu’on dispose d’eau chaude courante. N’est-ce pas plus agréable que de se laver sans trop s’en rendre compte en se demandant si l’auto va démarrer en cette journée très froide et si on va pouvoir être à l’heure au travail? D’autant que se rendre anxieux avec le possible effet du froid sur la voiture ne la fera pas démarrer plus facilement...

Cette même tension peut aussi amener à se rappeler qu’on dispose d’une voiture et d’un emploi, tout ne va pas si mal... Elle peut aussi nous faire passer en mode solution : que peut-on faire pour augmenter la probabilité que la voiture démarre ou pour diminuer les risques de retard? On peut aussi prendre conscience d’une éventuelle anxiété : il se peut que notre peur nous vienne d’une époque où les voitures ne démarraient pas par grand froid alors que, dans notre réalité  actuelle, le développement de la technologie font qu’elles démarrent presque toujours. Et qu’arriverait-il vraiment si on était en retard? Les conséquences réelles méritent-elles qu’on s’en fasse un gros problème?

 

Pour conclure

Le psychiatre Christophe André (3) dit que le bien-être gagne à être complété par la conscience de ce bien-être si on veut le transformer en bonheur. Il est sans nul doute utile de s’appliquer à apporter des solutions à ce qui ne va pas bien; mais on perd beaucoup de moments de bonheur simple à se remplir la conscience de ses insatisfaction et de perdre ainsi de vue tout ce qui va bien. De plus, quand on est conscient de tous les privilèges dont on dispose, ce qui va mal nous semble aller beaucoup moins mal...

 

(1) Voir Lafleur, Jacques : La cohérence cardiaque est-elle pour vous?,  Travail et santé vol. 27 no 3, septembre 2011, 

 

(2) https://www.heartmath.org

 

(3) Voir par exemple sa conférence sur la sérénité sur YouTube: https://www.youtube.com/results?search_query=christophe+andré+sérénité