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Les festivités associées à la période de Noël mènent souvent à une prise de poids, conséquence des quelques abus alimentaires qui s’étirent souvent sur ces deux semaines de rencontres familiales. C’est notamment pourquoi le début de janvier marque la prise de bonnes résolutions. Bonnes résolutions aussi en ce qui concerne le travail.

Les mêmes chaque année?...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bonnes résolutions ou... véritable désir de changement ?

Par Jacques Lafleur, psychologue

Paru dans Travail et santé, vol 29 no4, décembre 2013


Qu’on le veuille ou non, la santé a un prix. Ce prix diffère certes d’une personne à l’autre en raison de variables biologiques (hérédité, âge, accidents, etc.), ce que certaines personnes défavorisées en regard de l’un ou l’autre de ces facteurs considèrent souvent comme «injuste».

Souffrant d’hypertension artérielle ou d’un métabolisme de base lent, par exemple, il vaudra mieux exercer un bon contrôle de sa consommation d’aliments salés ou d’aliments à forte teneur en lipides ou en glucides si on veut éviter d’augmenter les risques pour sa santé liés à l’hypertension ou à la prise de poids. Ce contrôle est utile à tout le monde, mais il est plus nécessaire chez les gens à risque. D’où ce sentiment d’«injustice», car on considère souvent comme une privation de devoir limiter certains plaisirs qui, par ailleurs, ne sont pas forcément sains.

Si le prix de la santé est influencé par des variables biologiques sur lesquelles on a peu de pouvoir, il varie aussi en fonction des habitudes de vie. Ces habitudes jouent sur la capacité du corps à garder l’équilibre de ses diverses fonctions, soit positivement, soit négativement. Il s’avère évidemment d’autant plus important d’avoir de bonnes habitudes que notre hérédité ou d’autres variables nous rendent vulnérables.

Il reste difficile de départager l’influence de l’hérédité de celle des habitudes de vie sur la santé, mais ça restera toujours une mauvaise excuse que de faire passer ses problèmes de santé uniquement sur le compte de variables sur lesquelles on n’a que peu de pouvoir. À titre d’exemple, la grande étude Interheart (52 pays, 5 continents, 150,000 répondants, ⎯ référence facile sur Internet) montrait une influence de 90% des habitudes de vie sur l’incidence de l’infarctus, comparée aux 10% qui marquent l’impact de l’hérédité.

Il semble à tout le moins clair que de saines habitudes de vie augmentent les chances de vivre en santé chez tout le monde. Elles constituent un excellent mécanisme de prévention, même si elles n’offrent aucune garantie. Prendre de bonnes résolutions peut-il aider à intégrer ces habitudes dans sa vie?

«Si on veut, on peut»

La vision la plus répandue en ce qui concerne la capacité de changer les choses veut que, une fois conscient des conséquences de certains gestes que l’on pose, on n’ait qu’à se résoudre à cesser de faire ce qui nous nuit ou à faire ce qui nous serait bénéfique. «Si on veut, on peut.» Et si on ne change pas, c’est qu’on ne veut pas assez. En fait, l’équation peut se résumer à : si on sait, alors on peut si on veut.

Le changement est ainsi vu comme une affaire de connaissance et de volonté, de «résolution». La présupposition est que la connaissance mène automatiquement au changement chez les gens qui ne sont pas «faibles». Et ceux qui n’arrivent pas à changer n’ont alors qu’à se sentir coupables de leurs «manques», soit de force, soit de volonté. Les fumeurs, obèses, joueurs compulsifs, workaoliques, etc. sont ainsi vus comme des gens qui méritent pleinement les conséquences que leur manque de force ou de volonté leur fait vivre. S’ils disent «C’est plus fort que moi», ils se feront répondre que c’est tout simplement parce qu’ils ne sont pas assez forts... Car tout le monde devrait pouvoir changer, il n’y a qu’à vouloir assez. Il faut se résoudre.

Dans cette façon de voir, le «c’est plus fort que moi» n’est qu’une excuse de personne faible, paresseuse, irresponsable, mal ajustée ou hypocrite; il reste en effet impensable que quoi que ce soit se révèle plus fort que la volonté d’agir quand elle est basée sur des connaissances irréfutables. L’idée est simplement d’arriver à «se forcer» pour résister aux «tentations» ou pour vaincre sa paresse, ce qui constitue la base des bonnes résolutions.

Les habitudes

Or, les bonnes résolutions ne mènent que rarement à des changements durables. Elles peuvent permettre de perdre du poids pendant quelque temps, de s’inscrire à un centre de mise en forme physique ou de quitter le travail à une heure raisonnable pendant une semaine ou deux, mais les probabilités que ces comportements se transforment en habitudes durables restent faibles. On peut expliquer les «rechutes» par le manque de volonté des gens, mais on peut aussi remettre en doute la théorie qui prône que «si on veut, on peut» et s’interroger sur les façons de faire qui conduiraient mieux à un changement de comportement durable. C’est ce que fait la psychologie cognitive-comportementale.

Si vous examinez vos bonnes habitudes, vous prendrez probablement conscience qu’elles ne vous demandent que rarement de grands efforts. C’est «naturellement» que vous ne voulez pas un deuxième dessert, que vous n’abusez pas de l’alcool, que vous allez accomplir votre routine d’activité physique (course, gym, tennis ou autre chose) ou que vous faites votre séance quotidienne de méditation. Ça fait partie de vous, c’est naturel, c’est normal pour vous, vous vous définissez même un peu comme «quelqu’un qui mange bien», «quelqu’un qui fait de l’activité physique» ou «quelqu’un qui médite».

Si ces habitudes sont ancrées depuis longtemps, il y a même fort à parier qu’il vous serait difficile de les changer : les comportements qui en découlent sont en quelque sorte devenus nécessaires. Il vous faudrait de terriblement bonnes raisons pour vous mettre à vous nourrir de hotdogs et de frites ou pour cesser de vous entrainer.

Une habitude a ainsi une force beaucoup plus grande que celle qu’on lui prête. Les motifs par lesquels on justifie ses bonnes habitudes ont certes pour effet de nous aider à les maintenir, cela est indéniable; mais les très nombreuses répétitions qui ont mené à la consolidation de ces bonnes habitudes ont aussi créé dans notre système nerveux des patterns de connexions neuronales très résistants au changement.

Dans certains cas, cette connexion automatique de certains neurones et de certaines parties du cerveau explique le «plus fort que moi». L’activité physique régulière constitue sans doute une bonne habitude de santé et cela motive à l’entrainement. Mais combien de joggers qui courent pour leur santé continuent-ils de courir malgré des genoux ou des chevilles blessées? Est-ce si bon que cela pour leur santé, ou ne peuvent-ils tout simplement pas arrêter de courir le temps que le tout guérisse?

Une vision quelque peu différente des choses

La compréhension du fonctionnement du cerveau qu’offrent actuellement les neurosciences peut en partie expliquer le «plus fort que moi». Elles posent que plus un geste ou une pensée est répété, plus les neurones ou les parties du cerveau qui sont impliqués se connectent facilement les uns aux autres (loi de Hebb); ces neurones finissent même par former un réseau qui n’a plus besoin d’attention consciente pour fonctionner.

Ce serait grâce à cette faculté, par exemple, que vous arrivez à lire ce texte beaucoup plus facilement qu’une personne qui n’a pas vraiment appris à lire. Une fois qu’on a appris, — et on apprend par l’attention et la répétition —«ça marche tout seul».

Par contre, il vous est devenu difficile, sinon impossible, de ne pas lire quand vos yeux regardent un texte. Votre cerveau interprète automatiquement tous ces petits dessins comme des lettres, il les regroupe en mots et en phrases. C’est une habitude automatique. Et vous comprenez aussi que, si on vous demandait de regarder ce texte sans y voir ces petits dessins comme des lettres, sans lire, vous ne pourriez pas résister longtemps; à un moment donné, votre cerveau recommencerait à lire. Ce serait «plus fort que vous».

Nos réactions psychologiques suivraient elles aussi cette loi : toute information vient susciter une forme de réponse et, si la même réponse est répétée à la suite de la même information un grand nombre de fois, elle surviendra automatiquement et renforcera d’autant le circuit neuronal qui la sous-tend. Cela expliquerait en partie pourquoi on pense le plus souvent la même chose des mêmes sujets. Et pourquoi il est plus difficile de changer quand on est âgé que lorsqu’on est plus jeune.
La répétition et l’attention nous font apprendre. Une fois que nous avons appris, il devient difficile de ne pas nous souvenir, il devient difficile d’oublier : il devient difficile de changer.

La capacité de changement se compliquerait encore davantage dans les cas où l’information qui nous fait réagir suscite une grande émotion. Toute grande émotion «allume» en effet notre cerveau émotionnel, ce qui aurait pour effet d’inhiber le fonctionnement des parties de notre cerveau qui gèrent les décisions non automatiques, c’est-à-dire celles qui nous permettent de faire les choix qui demandent réflexion ou recul. Ainsi, le «plus fort que moi» ne serait pas associé à un manque de volonté mais à une mise hors circuit temporaire des parties du cerveau qui permettent de choisir d’aller dans le sens où on veut aller quand on est calme.

Ayant par exemple chassé à d’innombrables reprises des émotions douloureuses (ennui, frustration, etc.) en mangeant des aliments gras-salés-sucrés ou en prenant de l’alcool, on aurait établi dans notre cerveau un circuit automatique qui conduirait à ces comportements alimentaires malsains dès que ce type d’émotion nous envahit; parallèlement, au moment où il est présent, cet envahissement atténuerait dramatiquement ou ferait même disparaitre de notre conscience notre intention de perdre du poids ou de boire moins.

La bouffe ou l’alcool finissant par faire passer le gros de l’émotion qui a déclenché l’impulsion à les consommer, le cerveau émotionnel se calmerait. Ce calme désinhiberait le néocortex, ce qui ferait revenir la capacité de vouloir cesser ces abus... et les regrets ou la culpabilité qui accompagnent ces «échecs» ou ces rechutes Mais trop tard, —comme la dernière fois d’ailleurs.

Le prix du changement

La connaissance et la volonté restent nécessaires au changement de nos mauvaises habitudes et à l’acquisition de bonnes habitudes. Mais elles ne sont pas suffisantes. Voici ce qu’il est utile de leur ajouter.

La volonté aura avantage à être consolidée pour qu’elle devienne profonde, solide. Il est important de vraiment valoriser le but qu’on poursuit, d’en faire une priorité, une forme de nécessité. Et de se le répéter souvent.

Les «il faut que je perde du poids» ou «il faudrait que je travaille moins» ne sont pas vraiment des buts. Ce sont des réponses spontanées de notre cerveau émotionnel à ce que l’on ressent quand on monte sur le pèse-personne ou qu’on rentre encore une fois tard et fatigué à la maison. Ce sont des vœux pieux axés sur des buts, mais qui ne tiennent pas compte des contraintes liées à l’utilisation des moyens pour atteindre ces buts, et ce sur la longue période qui sera nécessaire. Dès qu’on revivra les émotions qui nous font trop manger ou trop travailler, la trop faible lueur de ces vœux pieux fera en sorte qu’ils ne seront plus d’aucun secours. Nous ferons alors ce que nous avons appris à faire : manger, boire ou finir le travail.

Le changement est l’aboutissement d’une transformation graduelle des habitudes, ce qui suppose une intention (durable dans le temps) et non une émotion (volatile). Le changement est l’aboutissement d’un apprentissage, qui nous mène à coller une nouvelle réponse à ce qui nous fait habituellement réagir d’une façon malsaine.

Qui veut la fin veut les moyens... ou du moins consent à les utiliser.

Une autre étape de ce processus consiste à établir une motivation qui concerne les moyens à utiliser pour atteindre un but qu’on a déjà établi comme nous étant cher. La simple prise de bonnes résolutions nous fait souvent oublier que l’atteinte d’un but se concrétise en utilisant des moyens, et ce sur une longue période. En fait, le but va motiver l’utilisation des moyens, jusqu’à ce que les moyens deviennent «naturels», par la répétition, par la pratique. Les bénéfices ou progrès tirés de l’utilisation des moyens aideront eux aussi à garder la motivation.

Il est habituellement fort utile aussi de mieux prendre conscience des émotions qui déclenchent les comportements associés à la mauvaise habitude, ainsi que de ce qui provoque ces émotions. C’est une autre étape qui nous permettra de développer de nouvelles réponses, tant à ces émotions qu’à ce qui les déclenche. Si la malbouffe est liée à l’ennui ou à la frustration, par exemple, on apprendra à faire autre chose que manger pour faire disparaître le malaise lié à l’ennui ou à la frustration, et on apprendra aussi à faire des choses efficaces pour cesser de s’ennuyer ou d’être frustré.

Dans le cas d’habitudes saines à acquérir (marcher 30 minutes par jour, par exemple), on trouvera du temps pour marcher (on organisera sa vie en conséquence de son intention) et on chassera rapidement le «ça ne me tente pas» par «j’y vais quand même, j’évaluerai après si j’ai bien fait». Le «ça ne me tente pas» est une émotion qui sape l’énergie. Il importe de remplacer cette émotion par notre intention (je veux être en forme) le plus rapidement possible car, plus on laisse le «ça ne me tente pas» s’installer, plus notre intention pâlit dans notre conscience, jusqu’à disparaître. Dans le cas des mauvaises habitudes liées au travail, la même logique s’applique : identifier les émotions à la base de ses tendances malsaines, voir concrètement ce qu’on peut faire tant sur l’émotion que sur ce qui la suscite, pour ensuite agir aux deux niveaux.

Par exemple, il ne sert à rien au perfectionniste de se faire croire encore une fois qu’il travaillera moins cette année; il vaut mieux identifier et vaincre les peurs à la base de ce désir compulsif de tout peaufiner, de façon à pouvoir oser livrer de plus en plus souvent un travail bien fait, mais pas parfait. Ce n’est qu’ainsi qu’il arrivera à quitter à 5 heures le soir en laissant sa mallette au bureau. Ce type de démarche est le plus souvent longue et complexe.

Émotion et intention

En résumé, la prise de bonnes résolutions relève plus de l’émotion que de l’intention et elle s’inspire davantage de la pensée magique que de la planification. On prend une bonne résolution sur un coup de tête ou à la suite d’une émotion plus ou moins forte, et non pas à la suite d’une réflexion ou d’une introspection. Comme les comportements liés aux mauvaises habitudes sont eux aussi provoqués par des émotions, ils finissent un jour ou l’autre par reprendre le dessus.
Il vaut mieux considérer le changement d’habitude comme un apprentissage. Personne, je crois, n’aurait l’idée de prendre la bonne résolution d’apprendre le piano! Apprendre le piano suppose une organisation de vie qui laisse du temps à la pratique. Le succès suppose que cette pratique régulière et nécessaire ne soit pas laissée aux mains de l’émotion «ça me tente» ou «ça ne me tente pas». Cela suppose aussi qu’on ait des moyens (notamment un piano et une méthode d’apprentissage) et qu’on veuille utiliser ces moyens, autant que d’arriver au but. Certaines études montrent même qu’un intense désir de changer est négativement corrélé à la réussite dans les cas où l’effort n’est pas là.
Un intense désir est une émotion, pas une intention. Le changement d’habitude nécessite de la préparation, de la planification, de l’organisation et du réalisme. Ensuite, beaucoup d’actions, d’attention consciente, de répétitions; cela va établir et consolider de nouvelles connexions dans notre cerveau, lesquelles vont peu à peu (c’est long...) prendre le dessus sur les anciennes, faisant de plus en plus apparaître le nouveau comportement comme «naturel» dans la conscience. Changeons donc nos bonnes résolutions par de bonnes... répétitions! Installons les nouveaux comportements graduellement, selon ce que nous sommes capables de faire. Il s’avère contreproductif de viser trop haut au départ; trois ou dix minutes si c’est le temps que nous avons, mais trois ou dix minutes chaque jour. Travaillons aussi nos émotions et notre organisation de vie; les premières sont nuisibles au changement durable et, sans organisation, rien de durable ne peut s’installer.
Le changement d’habitudes est possible, mais il n’est ni rapide, ni facile.