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Le changement d'une habitude bien ancrée prend du temps à s'installer dans notre système nerveux. Il y a des moyens de s'aider.

Et attention à être trop pressé de ralentir, de se détester de se détester, de se choquer d'être en colère, de s'énerver avec ce calme qui ne vient pas! Dans ces cas, le naturel ne revient pas au galop: il n'est jamais parti!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand le naturel revient au galop

Par Jacques Lafleur, psychologue


Paru dans Travail et santé, vol 26 no 3, septembre 2010, révisé en février 2017

Si le naturel revient si souvent au galop lorsque nous voulons changer des choses, c’est que nous abordons le changement d’une façon qui va à l’encontre du fonctionnement de notre système nerveux. N’en déplaise à Descartes, l’être humain n’est pas d'abord et avant tout rationnel. Cela explique que, même quand on a toutes les raisons du monde de changer certaines choses dans sa vie, l’avenir sait rapidement nous montrer que la seule argumentation, si bonne soit-elle, n’est pas suffisante pour induire un changement durable.

Notre système nerveux est une magnifique machine à apprendre. Et qui dit apprentissage dit acquisition d’automatismes. Par exemple, on lit ce texte sans trop de difficulté. Si j’introduis le mot preaesteizeuokw, il est probable qu’on va devoir ralentir. Un peu comme on butait sur de nouveaux mots lorsqu’on a appris à lire. Un mot comme aiment, les premières fois où on le rencontre, crée une véritable confusion : est-ce aimant, éman, èman, émante, ème? Puis on apprend et aiment devient ce qu’il est, le verbe aimer à la troisième personne du pluriel de l’indicatif présent. On n’a plus jamais de doute, c’est de l’ordre du réflexe, la lecture devient automatique.

Les conditionnements

Ce processus d’apprentissage est aussi à l’œuvre lorsque nous intégrons nos façons de voir la vie. Nous apprenons en quelque sorte à lire les événements, à leur donner une signification; puis on réagit ensuite à ces mêmes situations de façon automatique, ce qui renforce... l’automatisme acquis! Nos parents ont été nos premiers professeurs, puis ensuite d’autres personnes significatives nous ont à leur tour enseigné comment comprendre la vie, influençant ainsi la formation de nos opinions et attitudes. Une fois intégrées dans notre système nerveux, les attitudes ont une très forte tendance à rester stables, même quand nous voulons les changer.

Il n’est évidemment pas impossible de changer ses façons de voir et de réagir, mais il est préférable, pour ce faire, de se servir du processus d’apprentissage qui mène à la programmation d’une nouvelle attitude plutôt que de s’y opposer comme on le fait trop souvent. Habituellement, notre attitude concernant le changement ne tient en effet pas compte de la nécessité d’une programmation. Grosso modo, cette façon (apprise) de voir le changement se base sur l’idée fausse selon laquelle nous serions des êtres libres de réagir comme nous le voulons: on croit qu’il suffit simplement de décider de réagir comme ceci ou cela pour que ça fonctionne dès maintenant et tant qu’il nous plaira.

Un peu comme si le changement personnel était un changement de logiciel. On installe le nouveau en deux clics et voilà, ça devrait marcher. Quand l’ancien logiciel reprend le dessus, on s’accuse de manquer de volonté, on se sent coupable ou on vit autre chose qui tourne autour du thème «le problème, c'est nous». Peut-être le remarquez-vous, mais ce thème fait aussi partie des conditionnements qui ont formé nos attitudes: le changement dépend uniquement de la volonté, et quand vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute. Une fois qu’on est arrivé à la conclusion qu’on est incapable de changer, les efforts cessent. Et le naturel peut reprendre du service à temps complet.

Une autre approche

Ah! la nouvelle orthographe... Écrivez-vous «événement» ou «évènement»? Couts ou coûts? Ognon ou oignon? En ce qui me concerne, je dirais que mon naturel me dicte d’écrire oignon.

Mais voilà, mon naturel n’est rien d’autre que ce que j’ai pratiqué depuis des années. Quand j’aurai lu et écrit ognon assez souvent, le mot me semblera tout aussi normal que oignon et il deviendra un nouveau naturel. Mais, que voulez-vous, pour l’instant je préfère oignon. J’ai la tête dure? Je ne veux pas changer? Non, je suis conditionné. La nouvelle orthographe s’oppose à ce conditionnement. 

Le conditionnement est le processus par lequel des réactions automatiques s’installent dans notre système nerveux. Grosso modo, il s’implante avec la répétition, ces répétitions étant plus probables lorsqu’elles permettent d’obtenir certains avantages ou d’éviter certains ennuis. Ainsi, valorisé parce qu’il maîtrise bien l’orthographe, un individu sera enclin à aller encore plus loin : il répétera ses efforts et en sera récompensé. Il en va de même de presque tout ce que l’on apprend : des valeurs morales à respecter à ce qu’il faut faire pour être aimé, en passant par la valeur de l’argent ou la signification de la toux. Élevé par des hypocondriaques, un individu pourra voir dans chaque épisode de toux les prémices de la pneumonie qui risque de le tuer, alors qu’une personne ayant appris à « être dure à son corps » pourra cracher ses poumons pendant plusieurs jours sans avoir le réflexe de consulter en médecine. Et tous les deux croiront avoir raison de réagir comme ils le font.

Têtes dures? Non : têtes conditionnées. Et dures aussi, mais parce que conditionnées.

Changer ou répéter?

Le changement est lui-même vu et mis de l’avant à travers nos conditionnements. Cela a l’effet pervers de faire en sorte que, si l’on n’y prend garde, on va gérer les changements que l’on voudrait faire en se basant, sans s’en rendre compte, sur ses conditionnements antérieurs, c’est-à-dire sur ce que l’on veut changer. On risque alors beaucoup plus de répéter que de changer. On dira que le naturel est revenu au galop mais, en fait, il n’est jamais parti puisque c’est à lui qu’on avait — sans s’en rendre compte — confié la charge du changement!

Supposons par exemple que quelqu’un qui vit sa vie à la course prenne conscience qu’il lui vaudrait mieux ralentir. Les chances sont grandes qu’il veuille ralentir vite. C’est encore la vitesse qui le mène. L’habitude ou la compulsion qui le pousse à faire vite ne reviendra pas au galop après les quelques efforts que notre individu aura faits pour ralentir: elle sera toujours restée là!
Ou supposons que quelqu’un qui se fait continuellement des reproches en ait assez et décide de cesser. Les prochains reproches qu’il se fera (et cela arrivera vite s’il a passé sa vie à se faire des reproches), seront sources de... reproches! Car, il ne devrait plus se faire de reproches maintenant qu’il l’a décidé. Encore une fois, le naturel acquis mène le changement. Il est peu probable que notre individu prenne conscience qu’il s’est reproché de se faire des reproches car, justement, cela lui est naturel. Il pensera plutôt naturellement qu’il est incapable de changer...
Mais peu de bébés se reprochent de réveiller leurs parents la nuit quand ils ont faim. L’autocritique négative n’est pas naturelle : il faut apprendre à se faire des reproches si on veut performer dans cet art. Une fois qu’on l’a appris, cela devient naturel. Et on oublie qu’on l’a appris, on ne fait que le répéter. Un peu comme on lit sans se dire qu’on l’a appris.

C’est ici qu’une certaine psychologie cognitive peut nous aider.

Changer de... conditionnement!

Si on arrive à se voir comme quelqu’un qui a intégré des automatismes et qui a par conséquent de très fortes tendances à les répéter, on abordera le changement différemment. On cessera peu à peu de croire qu’on devrait être totalement souverain de sa propre pensée, de ses émotions et de ses réactions, capable de changer ipso facto quoi que ce soit dans tout cela quand bon nous semble et pour toujours. Si on accepte de voir qu’on a de fortes tendances à répéter ce qu’on a appris, on verra l’intégration de tout changement comme l’aboutissement d’un nouvel apprentissage, qui viendra remplacer le premier. Et qui dit apprentissage dit désir d’apprendre et entraînement.

Le désir d’apprendre est issu du moteur de croissance qui habite chaque être humain en bonne santé mentale. On veut apprendre parce que, quelque part en soi, on veut s’améliorer, devenir une meilleure personne, acquérir des compétences, etc. Attention ici, on n’est plus dans la motivation extérieure des «il faut», mais bien dans le monde intérieur des «je veux». Il y a toute la différence du monde entre «il faut que je cesse de boire, il faut que je perde du poids, il faut que je maîtrise ma colère», et «je veux cesser de boire, je veux perdre du poids, je veux maîtriser ma colère». Le «il faut» relève le plus souvent du cerveau émotionnel et les émotions sont changeantes : aucune émotion ne peut venir à bout d’un solide conditionnement. Le «je veux» montre une intention, laquelle peut se maintenir malgré les variations d’humeur. On touche ici à un test essentiel : si «il faut changer» mais qu’on ne peut pas dire «je veux faire ce changement», cela ne fonctionnera fort probablement pas.

Car tout changement personnel nécessite un entraînement. Et cela s’oppose à notre notion conditionnée du changement, qui veut que ce dernier s’appuie uniquement sur la force de décision. Il serait bon d’apprendre à vouloir changer progressivement, avec discipline, efforts, et... rechutes!

On préfère voir le changement comme une affaire de volonté (image de l’ange et du diable) plutôt qu’une affaire de discipline... C’est normal, c’est naturel, mais... ça ne fonctionne habituellement pas.

L’entraînement

Le principe de l’entraînement, c’est de permettre au cerveau d’arriver à faire progressivement certaines choses de plus en plus facilement, jusqu’à ce qu’il les fasse presque sans effort. C’est ainsi que les gens polis sont habituellement polis sans effort. Les premiers «merci» ou «s’il- vous-plaît» d’un enfant ne viennent pas naturellement, tous les parents en savent quelque chose. Mais la répétition des consignes accompagnée du refus de donner quoi que ce soit s’il n’y a pas le mot magique dans la demande vont amener de plus en plus l’enfant à faire ses demandes en disant «s’il-vous-plaît». Il passera de la contrainte, au début, à une façon de plus en plus naturelle de faire ses demandes poliment, sans se forcer et peut-être même avec plaisir s’il se sent valorisé d’être poli.

Si on veut que notre enfant soit poli, on lui imposera donc une discipline. Rien de bien terrible. La discipline n’est pas une punition, c’est une façon d’arriver à quelque chose. C’est le rappel qu’on a une intention, aux moments où la présence d’une certaine émotion ou d’une pulsion intérieure pourrait nous ramener à de vieilles habitudes. L’émotion ou la pulsion passeront et notre intention demeurera, si elle est solide.
Dans le cas où on souhaite un changement personnel, les mêmes dispositions s’appliquent : on s’impose de la vigilance et une certaine discipline concernant l’objet du changement, de façon à ce que notre cerveau s’habitue à traiter autrement les informations qui déclenchaient autrefois la réponse qu’il avait apprise. Un peu comme on éduquerait un enfant-en-soi : mon premier réflexe est de réagir comme ceci, c’est normal car c’est ce que j’ai appris. Cependant, comme je veux réagir comme cela à l’avenir, je vais saisir l’occasion pour m’entraîner.

Les résistances

Certains changements d’habitude (alimentation plus saine, mise en forme physique, consommation plus éclairée) ou d’attitude (vouloir bien faire, mais sans perfectionnisme, confiance en soi, optimisme, calme intérieur, etc.) peuvent s’avérer fort désirables à certains égards. Mais les bénéfices attendus sont toujours en compétition avec les avantages (souvent à court terme) liés aux habitudes ou attitudes actuelles. Comment réduire mon anxiété ou calmer certaines émotions sans me bourrer la bédaine comme je le fais depuis si longtemps? Comment prendre du mou sur le perfectionnisme si j’ai encore et toujours terriblement peur des reproches dont j’essaie de me protéger en faisant tout à la perfection?

Les rechutes dans les anciens patterns ou l’abandon des tentatives de changement peuvent ainsi venir du manque de moyens pour composer avec les émotions difficiles ou douloureuses que les anciennes habitudes nous aidaient à maîtriser (malgré leur impact négatif à d’autres égards). Plutôt que de condamner aveuglément nos mauvaises habitudes, on aurait donc avantage à prendre conscience de leurs bons côtés, de façon à trouver d’autres moyens moins dommageables de conserver ces effets positifs. Le changement s’en trouverait d’autant facilité.

Dur dur de changer...

La première attitude à changer reste celle qui veut que le changement personnel soit chose facile et rapide pour qui a de la volonté. Faux : un changement important prendra au contraire le plus souvent de longs mois ou quelques années à s’implanter. Il sera fort probablement parsemé de petites et grandes rechutes.
Ensuite, on portera une attention particulière à ce que ce ne soit pas l’attitude que l’on veut changer qui mène le changement : on est pressé de ralentir, on se déteste de ne pas s’aimer, on se juge de ne pas arriver à cesser de juger, on n’a pas vaincu son perfectionnisme à la perfection, on tient absolument à lâcher prise, etc.
On verra le changement non pas comme une sorte d’obligation (il faut que...), mais comme le résultat d’une intention soutenue par un entraînement. On se fera une image claire du résultat que l’on veut obtenir et de comment on souhaiterait réagir dans telle ou telle circonstance. On répétera quotidiennement ces scénarios, dans le calme, intérieurement, en dehors des moments où notre vieux pattern est habituellement sollicité. Puis, on s’entraînera aussi à répondre selon notre désir de changement dans les moments appropriés.
On analysera ses rechutes : ai-je bêtement oublié? (auquel cas je me mettrai des aide-mémoires pour me rappeler), est-ce une émotion qui a fait en sorte que « ça a été plus fort que moi » (auquel cas je devrai être plus vigilant et travailler cette émotion pour apprendre à y répondre autrement), ai-je cédé trop facilement à l’assaut de mon ancien pattern? (auquel cas je m’imposerai un délai avant de céder, je soutiendrai mieux ma motivation), etc.

Les arguments invoqués pour justifier un changement ou le voir comme nécessaire font partie de la motivation à changer. Mais ils ne constituent que rarement une force suffisante pour renverser les résistances qui se dressent dès que l’on s’engage dans une bonne résolution. Nos arguments gagneront à être soutenus par une répétition intérieure fréquente de notre intention et par une pratique concrète de ce que nous voulons développer. Idéalement, le tout s’appuiera sur une aspiration fondamentale à devenir une belle personne, plus libre et plus saine.

Oui, le changement est long là aussi...Si la pertinence d’un changement est une chose, sa mise en place en est une autre. Alors attention à ne pas se mettre soi-même trop de bâtons dans les roues... 

En complément: Les petites compulsions et la santé