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Prioriser et planifier pour… dire non!

 

 Paru dans Travail et santé, vol 33 no 1, mars 2017

Par Jacques Lafleur, psychologue

 

Même lorsque ce serait très légitime, certaines personnes n’arrivent pas à dire non à des gens qui leur adressent des demandes. Ensuite, elles se débrouillent avec leur oui, mais pas toujours de gaieté de cœur.

Au travail, ce type de oui qui n’est pas vraiment consenti signifie souvent une acceptation tacite d’une surcharge de travail, laquelle mène à un sentiment de pression créant un stress indu.  Voici quelques suggestions pour aider à opposer une saine résistance aux demandes auxquelles on voudrait dire non.

 

Dire non c’est choisir

 

Dire non à une demande c’est affirmer que, compte tenu de certaines autres priorités, on préfère ne pas y répondre. On utilise le plus souvent la formule «Je ne peux pas parce que…», en espérant que la personne qui fait la demande va comprendre pourquoi on refuse d’acquiescer à sa requête. «Je ne peux pas t’aider à repeindre ton sous-sol samedi parce que mon fils a un tournoi de soccer» signifie en fait que, au total, je préfère aider mon garçon et que je ne peux pas être à deux endroits en même temps. Il n’y a en effet pas d’obligation à aller au soccer, il y a là un choix, une préférence; si la maison était en flammes samedi, on laisserait probablement tomber le soccer.

Toute personne qui dit non a donc déjà dit oui à une autre chose à laquelle elle accorde priorité. Les regrets ressentis à avoir dit oui alors qu’on aurait voulu dire non viennent souvent de cette difficulté ou de cette incapacité à mettre ses désirs ou ses besoins en priorité par rapport à ceux des autres, même quand la demande est abusive.

Quand on choisit un emploi, on le fait le plus souvent en s’assurant qu’il nous permettra de respecter l’équilibre de vie que l’on souhaite. Quand la surtâche arrive, dire oui au surplus de travail c’est dire non à cet équilibre. C’est laisser le travail chambouler ses priorités de vie. Est-il vraiment nécessaire de laisser une partie de sa vie personnelle ou familiale dépendre des supposés besoins de son employeur?

 

Savoir ce qu’on veut

 

Une première démarche pour apprendre à dire non au surplus de tâche ou aux abus peut consister à clarifier ses priorités de vie pour soi-même. Chacun priorisant sa vie familiale, Charles a laissé un emploi qui ne lui permettait pas d’être suffisamment présent à ses enfants alors que Nadine a appris à laisser le travail attendre jusqu’au lendemain pour pouvoir vivre la vie familiale qu’elle souhaitait.

Le travail de Charles supposait dès le départ une disponibilité de soir et de fin de semaine ainsi que des voyages à l’extérieur, ce qui lui convenait bien lorsqu’il n’avait pas d’enfants. La paternité a changé les choses. Mais, du côté de Nadine, l’emploi ne comportait pas forcément de demande d’heures supplémentaires. C’était sa difficulté à laisser le travail attendre au lendemain et sa peur de décevoir qui lui imposaient de rester au bureau, c’est à des demandes ou à des obligations qui venaient d’elle-même qu’elle devait apprendre à dire non.

Il en va ainsi pour plus de gens qu’on pense. Ce qu’ils perçoivent comme une demande n’en est pas toujours une. En fait, le travail qui n’a pas été accompli dans une journée ne constitue pas une demande. C’est une information qui n’oblige à rien d’autre qu’à déterminer comment on veut y répondre. Le malaise que certaines personnes ressentent devant le travail qui reste à faire pourrait donc être dissipé autrement qu’en le terminant.

Une majorité de gens ont d’ailleurs appris à quitter le travail la tête tranquille même si tout n’a pas été fait. Leur journée de travail terminée, ils ont d’autres choses auxquelles accorder leur temps et leur attention et ils ne se sentent en rien coupables de laisser le travail attendre au lendemain. Pour eux, «le travail c’est de telle heure à telle heure», le reste n’entre pas dans le cadre de leurs responsabilités (voir 5 étapes pour réduire le mauvais stress au travail et À qui  la surcharge?). Le reste appartient à l’employeur, auquel ils peuvent toutefois accepter de consentir quelques heures supplémentaires à l’occasion.

 

Respecter son contrat

 

Toute relation de travail repose sur des ententes plus ou moins explicites en ce qui concerne ce qui est permis d’y demander. En ce sens, il reste important de clarifier sa description de tâches, même si elle peut comporter la notion de «tâches connexes». Il importe aussi de s’entendre avec son employeur sur un horaire de travail, même si certaines pratiques plus ou moins claires concernant des heures supplémentaires peuvent y être incluses. Les deux parties auront au moins une base pour circonscrire les demandes admissibles. Il sera alors plus facile de négocier une entente en ce qui concerne les demandes qui excèdent sa définition de tâches ou son horaire de travail.

On peut se sentir obligé d’ajuster ses heures de travail à ce qu’on a à faire tout comme on peut choisir d’ajuster ce que l’on a à faire à des heures de travail définies. Perspectives fort différentes qui font que, dans le deuxième cas, on dit non à ce qui n’a pas été fait parce que nos heures de travail sont terminées pour la journée plutôt que, dans le premier cas, de dire non à son équilibre de vie parce qu’il reste du travail à faire.  

 

Prioriser, planifier

 

Si on veut arriver à bien remplir son temps de travail, il importe de déterminer ce qu’on y fera et d’avoir une bonne idée du temps que cela prendra. Pour faire ce travail, on ordonne ses objectifs de travail et les tâches correspondantes par degré d’importance, en partant de l’essentiel pour aller vers le moins important. Une fois ce travail accompli, on planifie le travail de façon à savoir quand on fera quoi parmi ces tâches.

Quand l’agenda est rempli ( et on a gardé de la place pour les imprévus ) il devient plus facile de voir qu’on ne peut rien y ajouter sans d’abord devoir retrancher ou retarder des choses. Il ne s’agit alors plus d’ajouter des choses mais bien d’en remplacer, le degré de priorité restant le critère premier (voir Fixer ses priorités).

Avant de dire oui ou non, il est donc fort utile de savoir et de faire savoir ce qu’on a déjà au programme. Pour pouvoir dire non en toute légitimité, il est avantageux de s’appuyer sur ce à quoi on a déjà dit oui. Quand ce total de oui occupe tout notre temps de travail, il n’y a plus de place pour autre chose. Évidemment, on gagne à établir ses priorités de travail avec son employeur ou, du moins, à lui communiquer le résultat de ce travail de priorisation.

D’un point de vue pratique, on commence par planifier la réalisation de son premier objectif prioritaire, puis celle du second, etc. jusqu’à ce que l’agenda soit rempli. C’est ainsi qu’on ajuste ce qu’on a à faire au temps dont on dispose plutôt que d’ajuster ses heures de travail à ce qu’on a à faire (ou à ce que l’on croit avoir à faire). Évidemment, on prend aussi en compte le temps des réunions ou autres tâches inévitables.

 

Oh surprise!!!

 

Quand les gens que je vois à mon bureau acceptent de faire ce travail de priorisation et de planification, ils sont toujours très étonnés de constater à quel point ce qu’ils croient devoir faire ou voudraient être capables d’accomplir dépasse largement ce qu’ils peuvent faire dans la réalité. Ils voient clairement pourquoi ils manquent de temps : c’est parce qu’ils prennent trop de choses en charge par rapport au temps dont ils disposent! Le même manque de planification se retrouve aussi à la maison où les ambitions dépassent souvent largement les capacités de réalisation. Ça prend plus de temps que prévu parce que… on prévoit mal!

Le problème est moins un manque de temps qu’un manque d’habileté à bien déterminer le temps nécessaire à faire les choses, lequel manque mène à mettre systématiquement trop de choses au programme. Ce n’est malheureusement pas parce qu’on voudrait avoir le temps de tout faire qu’on l’a…

 

Prioriser et planifier pour dire non

 

On ne peut pas inventer de temps; tout ce qu’on peut faire, c’est choisir comment on va l’occuper.

En pratique, après avoir accompli le travail proposé plus haut, on ne dit pas non à des tâches en particulier, mais on s’entend avec son employeur sur les tâches à mettre en priorité, auxquelles on dit oui et on l’informe du temps nécessaire à les réaliser. Il est alors au courant des tâches qu’il ne nous reviendra pas d’accomplir faute de temps. On pourra encore changer certaines priorités, mais on ne pourra toujours pas inventer de temps.

D’un point de vue psychologique, ces démarches permettent aussi de mieux prendre conscience du travail que l’on accomplit dans une journée, ce qui nous amène à en être satisfait. Souvent, en dirigeant presque exclusivement son attention sur les parties du travail que l’on n’a pas eu le temps de faire, on a le sentiment d’avoir accompli peu de choses malgré que nos journées aient été bien remplies. Et ce sentiment de n’avoir pas fait assez contribue au cercle vicieux qui empêche de limiter le travail à ce qui serait tout à fait honnête.

Là comme ailleurs, la conscience constitue le début du changement.

 

Quelques difficultés

 

Si la conscience est le début du changement, elle est loin d’en être la fin. Nos mauvaises habitudes autant que les bonnes habitudes que l’on n’arrive pas à prendre nous montrent bien que ce n’est pas parce qu’on sait quelque chose qu’on agit en conséquence. Nos intentions se heurtent souvent à des résistances, qui peuvent venir autant de l’employeur que de chacun de nous.

 

Au niveau organisationnel, la généralisation de la surcharge de travail montre qu’il est de plus en plus normal pour un employeur de ne pas respecter le contrat de travail qu’il a signé. L’idée est que le travail doit être fait, peu importe qu’on ait ou non le personnel et les outils nécessaires. La «faute» liée à ce qui n’est pas accompli est vue comme celle des employés qui ne sont pas assez performants plutôt que comme celle de l’employeur qui abuse de son personnel. Dans ce cadre, dire non c’est être fautif, car on devrait être capable de faire tout ce qu’on nous demande. C’est l’esprit même de la culture de performance (voir Le mythe de la performance et  Plus de performance ou plus de... compétence?, qui reporte sur le dos des individus le surplus de travail lié au manque de ressources.

 

Au niveau individuel, on peut avoir des difficultés à bien prioriser et planifier le travail en s’en tenant à ce qui sert vraiment à l’atteinte des objectifs, ce qui permet de déterminer «ce qu’on a à faire». Par exemple, pour Nicole, en train de peaufiner un soir à 22 h les couleurs du PowerPoint qu’elle utilisera le lendemain dans son cours en soins infirmiers, cela signifie qu’elle s'impose de faire des choses inutiles à la poursuite de son objectif, qui est que les étudiants apprennent des choses qui leur seront utiles. La couleur de fond du PowerPoint, déjà correcte, ne contribue en rien à cet objectif. Chercher dans toutes les couleurs possibles ce qui pourrait être «mieux» ne fait pas partie de «ce qu’elle a à faire». Quand le travail est déjà bien fait, faire mieux ou faire plus ne fait pas partie de ce qu’on a à faire. Beaucoup de gens ont du mal à penser en fonction de l’atteinte des objectifs et à s’arrêter une fois que c’est fait ( voir Comment savoir où s'arrêter).

Pour Martin, qui répond à son patron sur son cellulaire un jeudi matin alors qu’il a réservé ce temps pour aller au gym après avoir travaillé les mardi et mercredi soirs précédents, cela signifie qu’il reste disponible pour le travail malgré qu’il ait atteint ses objectifs. Répondre à son patron à ce moment-là ne fait pas partie de «ce qu’il a à faire». Il peut faire son entraînement la tête tranquille et prendre le message plus tard, quand il reprendra le travail.

 

Déterminer «ce que j’ai à faire» et «le temps que je consacre au travail» ainsi que savoir quand s’arrêter constituent donc des démarches primordiales pour qui veut conserver un bon équilibre de vie. Dans un contexte de généralisation de la surcharge de travail, ces habiletés peuvent permettre de rester honnête tout en opposant une saine résistance aux abus. Prioriser et planifier constituent de bons moyens de travailler en respectant son contrat tout en disant non à ce qui dépasse le cadre de ses responsabilités.