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Standards, perfectionnisme et... anxiété!

 

Par Jacques Lafleur, psychologue

Paru dans Travail et santé

Septembre 2018, vol 34 no 3

 

«Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait». On conviendra sans difficulté du bien-fondé de cette maxime.  Par ailleurs, le degré de peaufinage d’une thèse de doctorat gagne sans doute à être plus élevé que celui du lavage d’une voiture. Mais, malheureusement, pas pour les perfectionnistes, pour qui tout doit être parfait!

 

Le perfectionnisme peut se définir comme une tendance à vouloir arriver à des résultats qui montrent qu’on a évité toute erreur et qu’on a tenu compte de tous les détails. C’est le but que visent les perfectionnistes quand ils veulent être satisfaits de ce qu’ils ont accompli : rien de moins que la perfection!

Chacune de ces deux dimensions, à savoir ne commettre aucune erreur et ne négliger aucun détail, peut avoir son importance, mais le fait de s’astreindre à les respecter parfaitement toutes les deux dans un monde où on se retrouve avec beaucoup à faire crée forcément une tension malsaine. Et comme la tension sans relâche rend malade, on peut dire que certains perfectionnistes souffrent de perfectionnisme.

 

Établir ses standards

 

La précision demandée en neurochirurgie est plus grande que celle qui est exigée d’un orthopédiste, lequel se doit cependant d’être plus précis qu’un charpentier. Le travail de ce dernier demande cependant plus de soin que ne doit en apporter un bricoleur du dimanche à la réparation de sa boîte à bois. Différentes tâches définissent ainsi différents standards.

L’établissement d’un standard de qualité se base notamment sur la gravité des conséquences prévisibles à ce qu’il soit fixé à un degré moindre. Ces conséquences se répartissent en deux ordres, celui du réel et celui du relationnel. Le réel couvre ce qui se passe dans la réalité alors que le relationnel implique le regard des autres sur ce qui a été accompli. D’un côté, donc, on peut se demander ce qui arrivera concrètement si ce qu’on fait n’est pas à la hauteur, c’est-à-dire être conscient des risques et des problèmes possibles; de l’autre, on peut aussi penser à ce qu’on dira de nous si le résultat de notre action n’est pas satisfaisante.

 

Fonctionnalité et esthétisme

 

Une action sert un but. Elle se termine naturellement quand le but est atteint. Le standard détermine notamment ce point où on peut dire que ce qui a été fait répond à ce pour quoi on l’a fait. C’est ici l’aspect fonctionnel qui est en jeu.

Par ailleurs, l’établissement d’un standard englobe aussi la notion de professionnalité, d’esthétisme, laquelle est intrinsèquement liée à l’aspect fonctionnel. Même quand ce qu’on a produit fonctionne, le but n’est effectivement pas forcément atteint : le standard exige aussi que le travail ait été fait selon les normes en vigueur, en respectant l’art de faire les choses. Par exemple, une voiture de qualité supérieure vendue à prix vraiment intéressant pourrait ne pas trouver preneurs à cause de sa laideur, laquelle n’enlève pourtant rien à la fonctionnalité. On tiendra donc compte du fonctionnel et de l’esthétique dans l’établissement des standards.

On peut retrouver des perfectionnistes dans ces deux dimensions de l’évaluation des livrables. Certains sont des maniaques de la précision fonctionnelle même quand un degré moindre suffirait largement, alors que d’autres ne peuvent rien laisser aller qui ne soit améliorable au plan de l’art de faire les choses, malgré que le degré atteint suffise largement à satisfaire tout le monde. Et, évidemment, on peut aussi chercher la perfection aux deux niveaux.

À noter aussi que, dans nombre de métiers et professions, la notion de fonctionnalité s’applique peu. Par exemple, un avocat peut n’avoir rien à se reprocher en ce qui concerne le travail qu’il a accompli et pourtant perdre sa cause. Il a une obligation de processus, de professionnalité, qu’il a respectée; mais il n’a aucune obligation de résultat, lequel dépend de plusieurs choses sur lesquelles il n’a aucun contrôle.

 

Le contexte

 

Un travail qui a été bien fait est un travail qui a été fait de façon à remplir la fonction qu’il sert tout en étant tout à fait présentable d’un point de vue professionnel. C’est à partir de ces critères qu’on peut établir un standard.

Par ailleurs, les attentes face à l’atteinte d’un standard sont aussi liées au contexte dans lequel le travail est effectué. Elles dépendent notamment des conditions qui prévalent : une échéance irréaliste, des ressources financières insuffisantes, des modifications de cible en cours de route, des produits de base de mauvaise qualité, une quantité de travail ne pouvant être accomplie que par un surhomme, bref un ensemble de facteurs peuvent permettre qu’on accepte des résultats par ailleurs en deçà des standards auxquels on s’attend dans des conditions normales. Même si le résultat est moindre que ce qu’il aurait pu être, on peut l’accepter compte tenu des conditions. Compte tenu des circonstances, c’est passable.

Mais cela jusqu’à une certaine limite, puisqu’il ne sert à rien d’accomplir un travail qui ne servira pas ce pourquoi on le fait ou, pire, qui le desservira. En deça d’un certain seul, ça ne passe pas.

 

On pourrait ainsi construire une échelle d’évaluation de résultat qui irait de médiocre à parfait, en passant par passable, bien fait, très bien fait et exceptionnel. Dans cette échelle, le standard définit l’échelon bien fait.

 

Résumons-nous.

 

Pour être satisfaisante, une tâche doit rencontrer le but pour lequel elle a été accomplie, et ce sans qu’on ait à redire sur le degré de professionnalisme avec lequel le résultat a été atteint et présenté. Une fois ce standard atteint,  à moins de circonstances particulières, on dira donc que c’est bien fait et qu’on peut passer à autre chose. Évidemment, une fois rendu à ce point, on pourrait faire mieux car le bien fait n’est que le troisième barreau de notre échelle d’évaluation. Il reste les niveaux très bien fait, exceptionnel et parfait.

Attention ici : le degré de précision requis pour atteindre l’échelon bien fait n’est pas le même pour toutes les tâches. Par exemple, un devoir bien fait en deuxième secondaire sera plus loin de la perfection qu’une thèse de doctorat bien faite. La nuance reste importante. Les standards sont relatifs à chaque type de tâches ainsi qu’aux contextes dans lesquels ces dernières sont exécutées.  C’est ce que les perfectionnistes n’arrivent pas à traduire dans leurs actions : ils se demandent la perfection là où elle n’est pas nécessaire ou encore là où elle est inatteignable. Pourquoi donc?

 

Mini et metus

 

Le perfectionnisme malsain impose d’accorder à des mini-détails une attention compulsive qui ne sert pas vraiment l’objectif. Une fois que ce dernier a été atteint de façon satisfaisante aux niveaux fonctionnel et professionnel, le perfectionniste s’oblige encore à peaufiner. Mais à quoi sert cette attention immodérée aux détails si elle n’est pas utile à atteindre l’objectif pour lequel on travaille?

La plupart du temps, elle sert l’une et/ou l’autre de deux grandes motivations à agir, soient le plaisir et la peur. On retrouve d’ailleurs dans le langage deux mots qui décrivent cette attention aux détails, soient minutie et méticulosité. Bien que ce ne soit pas tranché au couteau, on peut dire que le minutieux est plus axé sur le plaisir alors que le méticuleux est davantage motivé par la peur.

On est minutieux parce qu’on tire du plaisir d’avoir réussi à accomplir quelque chose de précis, d’exact, de joli, d’élégant, de raffiné, de délicat, et on est méticuleux pour que éviter que ça dérape, que ça saute : minutieux dans la composition d’un arrangement floral pour le plaisir qu’on en retire, et méticuleux dans le maniement des explosifs pour écarter tout danger. Minutie vient de mini, d’où l’idée d’accorder beaucoup d’importance à ce qui est très petit; méticuleux vient de metus, un mot latin qui signifie crainte.

Si donc vous avez du plaisir à peaufiner les choses, le monde du travail peut vous apporter quelques déceptions du fait de sa tendance à privilégier la quantité à la qualité. Mais si vous avez peur quand ce que vous faites n’est pas parfait, alors là, vous risquez le stress chronique et les maladies associées!

 

Perfectionnisme ou surcharge?

 

Certaines tâches demandent de l’attention aux détails. Par exemple, le travail des comptables doit les mener à des résultats exacts. Dans cette profession, les standards de précision sont élevés, au sens où tous  les chiffres, grands et petits, comptent. Il est donc important d’être minutieux pour atteindre le niveau du travail bien fait.

Quand, dans un service de comptabilité, on exige énormément de travail, ce n’est pas le perfectionnisme qui est la cause du stress: c’est la surcharge de travail. Ce n’est donc pas là un problème de perfectionnisme malsain, à moins que, par peur d’une erreur, le comptable ne révise encore et encore un travail bien fait, qui ne fait courir aucun risque au client.

 

Où réside le danger?

 

Le perfectionnisme est malsain quand la personne qui en souffre travaille très méticuleusement alors que ce n’est pas nécessaire. Son travail est déjà bien fait et personne n’aura rien à redire. Elle pourrait s’arrêter bien avant d’avoir atteint le standard qu’elle vise; il n’y aurait aucun danger en ce qui concerne le travail.

En fait, bien qu’elle croie que c’est le travail qui pourrait engendrer des risques si elle ne s’imposait pas de le faire de façon exceptionnelle voire parfaite, c’est elle qu’elle protège d’un danger... qui n’existe pas.

On retrouve ainsi un nombre imposant de personnes dites perfectionnistes qui, en réalité, souffrent d’anxiété. Elles ont appris à se protéger des critiques ou à essayer d’être aimées de personnes non aimantes en faisant tout à la perfection, sans jamais prendre conscience de l’inefficacité de ce moyen.

Pour d’autres, très talentueuses, le 100% a été la norme durant toute leur vie et fait maintenant partie de leur identité, qui serait tout à coup menacée si leur niveau de performance tombait à un niveau tout à fait correct, mais inférieur à celui qui est la norme pour elles. Alors, elles visent très près de la perfection.

 

 

Quel est le problème?

 

L’anxiété peut se définir comme une peur non fondée qui limite la vie de la personne qui la ressent (1). Comme toute personne qui a peur, la personne anxieuse s’abstient de se confronter à ce qui lui fait peur, ce qui limite sa vie. Dans le cas du perfectionnisme, c’est la peur non fondée de se faire reprocher des choses, de décevoir, de se sentir coupable, de se faire rejeter, etc. qui force la personne à pousser inutilement son travail à un degré de peaufinage extrême. Cela ne sert en rien le travail, déjà bien fait, et cela n’est en rien utile non plus à éviter ce que la personne craint puisqu’un travail bien fait n’expose pas à des reproches et ne déçoit personne. Et tout ce surplus travail inutile limite la vie du fait du temps qu’il nécessite et de l’inconfort que la recherche de la perfection suscite. Ce stress peut notamment mener à divers malaises et maladies, à de l’insomnie, à des attaques de panique, à une disponibilité psychologique moindre pour d’autres choses importantes de la vie.

La première démarche consiste alors à bien cibler le problème. Ressenti au départ comme la nécessité d’éviter un danger, il se redéfinit alors comme le besoin de se libérer d’une peur non fondée.

 

Pour en sortir

 

La première étape pour se libérer de l’anxiété, quelle qu’en soit la forme, consiste à prendre vraiment conscience que ce que l’on craint est peu probable ou ne porte que très peu à conséquence. Le problème n’est pas l’objet de la peur mais la peur elle-même, puisqu’elle n’est pas fondée.

Ensuite, plutôt que de continuer à tout faire pour éviter ce que l’on craint à tort, il s’agit de s’y exposer, le plus souvent en commençant par des choses qui ne font pas trop peur. L’exposition volontaire répétée à ces choses nous amène à ne plus en avoir peur et on est alors prêt à passer à un nouveau défi, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’on atteigne un niveau où la peur a disparu ou encore où elle n’est plus limitative.

Le perfectionniste pourra par exemple limiter le nombre de révisions de son travail ou des courriels qu’il écrit, accepter de laisser aller sa tâche même s’il n’est pas absolument certain que ce soit parfait, faire volontairement de petites erreurs sans conséquences, choisir ses combats entre quantité et qualité, toutes choses qui lui montreront que ce qu’il craint ne se produit pas quand, sans être parfait, le travail est bien fait.

Et attention : il ne s’agit pas de guérir parfaitement du perfectionnisme! Même de légers progrès peuvent faire le plus grand bien en nous débarrassant d’une surdose de stress inutile. Là aussi, bien fait n’est pas synonyme de parfait.

                                        

 (1) voir L’anxiété, une limitation inutile, Travail et santé vol 34 no 1, mars 2018 ou http://apprivoisersonstress.ca/stress-au-travail/articles-parus-dans-travail-et-sante/l-anxiete-une-limitation-inutile/