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L’équilibre personnel: toujours possible …en 2015?

Paru dans Travail et santé, vol.31, no4, décembre 2015

Par Jacques Lafleur, psychologue

           

L’équilibre se situe entre le «trop» et le «pas assez». Mais, en ces temps de pression, où investissons-nous trop de nous-mêmes, trop de temps, d’argent, d’énergie, d’efforts plus ou moins consentis? En conséquence, quels secteurs d’une vie saine négligeons-nous? Comment ajuster les choses pour que notre vie soit plus près de ce à quoi nous aspirons vraiment? Comment éviter stress et fatigue, signes de déséquilibre, que nous vivons souvent sans satisfaction véritable en retour?

Voici quelques pistes de réflexion.

 

L’équilibre personnel est fait de multiples facettes, pas toujours simples à intégrer. Il comporte des aspects corporels, psychologiques, intérieurs et il est grandement influencé par l’organisation du quotidien. Il y a aussi un équilibre à établir entre les besoins de sécurité et de développement, entre la zone de confort et ce qui invite à apprendre et à se réaliser. Il y a aussi tous les changements, parfois voulus, parfois imposés, qui viennent nous déstabiliser dans certains secteurs de vie où on croyait la stabilité acquise.

Dans un monde qui bouge à grande vitesse, qui a constamment quelque chose de nouveau à offrir, qui impose la performance au travail comme valeur universelle, qui redéfinit l’ensemble de nos rôles personnels et professionnels, il importe de prendre régulièrement un recul pour se situer et faire des choix.

À notre époque, il est risqué de chercher son équilibre personnel dans une continuité acquise une fois pour toutes. Il vaut mieux s’ajuster comme le cycliste passant à travers des routes montagneuses, cabossées et sinueuses, tout en faisant attention à ne pas rester le nez collé sur les  nids de poule. Cherchons un équilibre dynamique à ajuster selon ses talents, ses aspirations et… les aléas de la route.

 

Quelques indices et repères

1. Se connaitre soi-même

 

Picasso n’est pas Churchill, pas plus qu’il n’est Céline Dion ou Cléopâtre. Chaque être a sa sensibilité particulière et, même si les besoins d’être en lien avec les autres, d’apprendre des choses et d’apporter sa contribution au monde semblent universels, chaque personne a des caractéristiques uniques la prédisposant à répondre à ses différents besoins d’une façon particulière. Lorsque des artistes deviennent administrateurs, que des coureurs de bois classent des papiers ou que des âmes tranquilles vivent traquées par le temps, il leur devient impossible de vivre en harmonie avec ce qu’ils sont. C’est donc une première source de déséquilibre que de vivre une vie qui ne nous ressemble pas.

On en prend conscience par le sentiment de ne pas être à sa place, par les regrets que l’on peut avoir de vivre sa vie sans avoir accès à ce qui lui aurait donné du sens. Par quoi avons-nous toujours été attiré, quels talents laissons-nous dormir, qu’espérions-nous de la vie, voilà qui peut nous mettre sur la piste de changements qui, sans être draconiens, pourraient nous insuffler davantage de vie. Plus de vie sociale, plus d’art, plus de temps pour lire ou réfléchir, plus de sport ou de plein air, plus d’intensité, plus de temps pour nos proches, plus de défis intellectuels, plus de jeu, de rire, de plaisir, de légèreté, qu’est-ce qui pourrait nous rapprocher de notre nature véritable, de ce pourquoi on a le sentiment d’être fait? C’est rarement plus de travail ou de ménage…

 

2. Doser son énergie

La vie est faite de dépense et de récupération d’énergie. Idéalement, les deux s’équilibrent. Quand ce n’est pas le cas, on ressent de la fatigue, et ce autant quand on dépense trop d’énergie que lorsqu’on n’en dépense pas assez. Il est en effet erroné de dire qu’un être humain dispose d’un réservoir d’énergie essentiellement semblable à celui d’une voiture. Le sommeil et le repos sont essentiels à refaire ses forces, certes, mais l’intérêt, la motivation et le sentiment de nécessité suscitent la libération d’énergie. C’est pourquoi on manque aussi d’énergie quand on est sous-stimulé.

Une vie plate ou une vie remplie d’obligations lourdes non consenties nous sapent notre énergie, alors qu’une vie librement investie dans des secteurs qui nous stimulent nous en donne. Alors le retour à l’équilibre peut aller dans les deux sens : si on a trop de choses à faire, on en enlève, c’est intelligent; mais si on en manque ou si ce à quoi on consacre ses journées n’est d’aucun intérêt, rien ne sert de se reposer : il vaut mieux chercher ce qui nous stimulerait.

Doser son énergie, c’est s’organiser pour n’avoir ni trop ni trop peu de choses à faire, pour qu’une majorité de ces choses soient significatives à ses yeux et pour établir une saine variation d’activités tout au long de la journée, de la semaine et de l’année.

 

3. Respecter le corps

La santé est la conséquence de la capacité du corps à garder un équilibre. Cette capacité n’est pas infinie et elle est grandement affectée par nos choix quotidiens en ce qui concerne l’alimentation, l’activité physique, le sommeil, l’auto-pollution et le stress, ce dernier étant impliqué dans 80% des consultations médicales.

Le corps peut supporter des écarts de conduite mais il a ses limites. Quand on s’approche de ses limites, il nous l’indique : fatigue, douleurs, malaises, irritabilité, insomnie. Il est alors grand temps de prendre conscience du déséquilibre qui sous-tend ces symptômes : trop de quoi?, pas assez de quoi?  Cela nous amène à corriger avant que la maladie ne vienne confirmer nos erreurs de gestion corporelle.

Habituellement, c’est «trop d’obligations» et «pas assez de temps pour vivre», ce qui mène à trop exiger de son corps sans en prendre suffisamment soin en retour. Mais ça peut aussi être «pas assez de courage» pour changer ce qu’on a à changer.

 

4. Équilibrer activité et repos

L’attitude bien ancrée qui veut qu’on n’ait droit au repos que lorsqu’on a terminé ce qu’on avait à faire est aussi devenue source de déséquilibre. Dans les dernières décennies, la vie tant personnelle que professionnelle d’une majorité de gens s’est en effet remplie d’une quantité impressionnante de tâches si bien que le temps «sans obligations» n’arrive que tard en soirée…quand il arrive!

La première impression de beaucoup de gens, c’est de manquer de temps. Mais comme on ne peut pas inventer de temps, il vaudrait peut-être mieux penser que le poids vient de ce qu’on organise sa vie en mettant trop de choses au programme, pensée qui nous ouvre de nouvelles solutions. Simplifier sa vie devient alors une option à envisager.

Et puis, il y a ceux qui partent du principe qu’il vaut mieux être reposé si on veut arriver à faire ce qu’on a à faire avec plaisir, ce qui constitue une autre piste intéressante.

 

5. Lièvre et tortue

Il semble que la nature ait produit deux types de gestion d’énergie. L’un est l’introversion, qui rend à l’aise dans une vie régulière et les activités où on se sent en contrôle. L’autre est l’extraversion, qui mène à ne rien vouloir manquer. Les deux types se démarquent dès l’enfance, l’enfant introverti pouvant passer de longs moments à explorer un livre ou un jouet alors que l’extraverti aura beaucoup plus besoin d’être stimulé de l’extérieur.

Grosso modo, l’introverti gère son énergie en la ménageant, en se donnant des temps de récupération, alors que l’extraverti la gère en en créant par de la stimulation extérieure. S’ils suivent leur nature, ils auront donc des vies différentes, le premier préférant se développer dans le connu où il se sent bien et le second cherchant une vie excitante ou à tout le moins occupée par toutes sortes de choses.

La plupart du temps, chez un individu particulier, on retrouve un type plus ou moins prédominant accompagné de certains traits de l’autre type. L’idée ici est de prendre conscience de ce que l’équilibre de l’un et de l’autre ne s’accommodent pas de la même quantité d’activités et du même type de choses (le connu ou les surprises).

 

L’offre et la demande

Dire que la vie est exigeante, c’est dire qu’on fait face à beaucoup de demandes, à beaucoup d’obligations. On peut y voir un déséquilibre entre ce qu’on est prêt à faire et ce «plus» que la vie semble exiger. En fait, on veut bien répondre à la demande, mais on souhaiterait qu’elle soit moindre.

La façon la plus connue de s’en sortir est d’apprendre à dire non, ce qui est une approche non négligeable; elle est cependant difficile à appliquer pour beaucoup de personnes qui ont peur de dire non ou qui ne peuvent le faire sans se sentir coupables. Mais, encore là, ça s’apprend.

Une autre voie consiste à gérer non pas l’ensemble des demandes mais plutôt à se centrer sur soi pour déterminer ce qu’on est prêt à offrir à chaque «demandeur», dont soi-même. On ne gère alors plus à la pièce les demandes de son employeur, mais on gère son offre de temps de travail : que puis-je faire dans le temps que je consacre à mon employeur? On ne regarde plus à la pièce la pertinence des demandes d’argent de ses enfants, on détermine et on gère un budget à ne pas dépasser.

Bien sûr, on détermine clairement avec chaque demandeur ce qu’on est prêt à lui offrir, respectueusement et en tenant compte des besoins des deux parties. Mais on comprendra qu’un employeur qui signe avec moi un contrat de travail fixant l’horaire à 35 heures par semaine ne peut pas respectueusement me demander d’en travailler 45…

Je ne dis pas que cette approche est miraculeuse, mais elle a permis à beaucoup de personnes de réaliser qu’elles offraient déjà beaucoup. En se centrant sur ce qu’elles offraient déjà plutôt que sur la demande qui arrivait en surplus, elles ont pu faire comprendre poliment que la demande était abusive, ce qui leur permettait de retourner la balle dans l’autre camp.

 

L’équilibre

L’équilibre de l’un n’est pas l’équilibre de l’autre. Il est «personnel».

En ce sens, s’efforcer de faire comme tout le monde n’est pas forcément une bonne idée. Mais, pour faire autrement, pour vivre une vie en harmonie avec soi-même, il faut avoir le temps de savoir qui on est et le courage de respecter cette connaissance de soi.

Or, en cette période de pression et de vitesse, beaucoup de gens manquent de temps pour arriver à boucler leurs journées. Alors, si on leur demande en plus du temps d’introspection, cela pourra leur apparaître au départ comme une nouvelle source de pression plutôt que comme une solution.

Il n’est pas facile de passer d’une croyance à l’effet que «la vie est exigeante» à une autre qui porte à penser que c’est la vie moderne qui est exigeante; le pas suivant consiste à faire des choix personnels.

À Rome, on fait comme les Romains. Mais ce ne sont pas tous les Romains qui allaient au cirque ou étaient légionnaires. La vie moderne offre beaucoup de possibilités et on trouve des gens non marginaux qui y gardent un bel équilibre. C’est possible.