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Les habitudes ont la vie dure. Alors... profitons-en!

Par Jacques Lafleur, psychologue

Paru dans Travail et Santé, vol.36 no 2, automne 2020

 

«L’habitude est une seconde nature» écrivait St-Augustin, il y a 18 siècles. C’était bien avant que la psychologie cognitive-comportementale ne parle d’émotions et de réponses conditionnées...

 

Encore cette année, le mois de février a probablement marqué l’abandon des résolutions qu’on avait prises après la période des Fêtes dans le but d’améliorer son sort. Nous avons certes fait quelques efforts pour aller dans le sens que nous voulions mais, voilà, le naturel a repris le dessus. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir de bons motifs. D’ailleurs, ils sont encore là, ces motifs : on veut encore manger mieux, faire de l’activité physique, travailler sainement, prendre du temps pour soi... 

Mais ces bonnes raisons ont perdu de leur force de conviction, laquelle s’est heurtée à des habitudes basées sur des motifs incompatibles avec elles. La valeur de la motivation qui sous-tend nos bonnes intentions suffit ainsi rarement à nous faire garder une habitude, même si elle a un impact sur le fait de vouloir la prendre. Peu à peu, les résistances liées aux conditionnements déjà présents désamorcent la volonté de faire les efforts nécessaires.

L’intégration de nouveaux comportements souhaitables se heurte ainsi inévitablement à des habitudes déjà présentes. Et les habitudes ont la vie dure...

 

La motivation n’explique pas tout

 

Il y a toujours une émotion plus ou moins grande et plus ou moins consciente qui nous pousse à faire ce que nous faisons. C’est ainsi parce qu’on veut quelque chose ou parce qu’on craint quelque chose qu’on agit ou qu’on s’abstient d’agir. Toute motivation est ainsi faite de désirs ou de peurs, ou d’un mélange des deux. 

Les habitudes se prennent par la répétition d’actions spécifiques. Ces dernières sont motivées par des émotions, sont répétées et finissent par s’intégrer dans la vie. Et puis, voilà, on n’a plus besoin d’y penser, l’habitude est prise. C’est ainsi sans trop repenser au bien-fondé de l’action qu’on fait son lit le matin, qu’on répond au téléphone quand il sonne ou qu’on va au gym trois fois par semaine. On le fait automatiquement, et tant mieux si on peut avoir de bonnes raisons de le faire.

Une fois qu’il a été consolidé en habitude,  il est cependant fort possible qu’un comportement se maintienne même s’il va à l’encontre de la motivation qui l’a fait naître. Par exemple, à 90 ans, certaines personnes mettent encore de l’argent de côté pour leurs vieux jours. Et il est rare que le fait d’avaler toute une rangée de biscuits procure du plaisir jusqu’au dernier... On a donc une motivation de départ qui mène à répéter des comportements spécifiques, lesquels finissent par créer une sorte de compulsion plus ou moins grande qui nous peut nous faire répéter des gestes même quand ils sont devenus absurdes. 

Une motivation saine a son rôle à jouer dans le fait que l’on garde une habitude. C’est même par cette motivation qu’on justifie pourquoi on les garde. Par exemple, la plupart des coureurs diront qu’ils s’entraînent pour leur santé. Mais on néglige de beaucoup l’aspect compulsif de ses habitudes, on est rarement conscient de cette force qui nous pousse à répéter ce que l’on fait. Un coureur qui courre pour sa santé aura beaucoup de mal à suspendre son entraînement quand ses sorties aggraveront la blessure d’entorse qu’il s’est faite à la cheville. Et les personnes qui souffrent d’ivrognerie continuent à boire bien après que le moment de plaisir est passé. 

 

Une bataille d’émotions

 

Une émotion entraîne donc un désir d’agir pour atteindre le but qu’elle suscite. Ce processus enclenche une réponse de stress, plus ou moins grande selon l’ampleur de l’émotion. La réponse de stress provoque elle-même une sorte de concentration sur l’atteinte du but qui, sur le moment, fait disparaître ou atténue fortement tout autre but, et notamment ceux qui seraient incompatibles avec celui sur lequel on reste concentré pour l’instant.

Par exemple, l’habitude de manger des aliments riches en gras-sucre-sel pour le plaisir ou pour faire diminuer une émotion désagréable (ennui, frustration, etc.) rend difficile, lorsque cette émotion est présente, de se rappeler que ces gestes sont incompatibles avec le but relié à une autre émotion (avoir peur pour sa santé, vouloir perdre du poids pour telle ou telle raison, se sentir coupable de ne pas se contrôler, etc.). 

Autre exemple : une émotion nous mène souvent à vouloir travailler moins (désirs de mieux s’occuper des enfants, de ne pas se faire exploiter, d’avoir du temps de repos, d’être moins fatigué, etc.). Par ailleurs, lorsqu’on se retrouve avec du retard dans son travail, une autre émotion vient s’imposer : peur de perdre l’emploi, culpabilité, peur de déplaire, etc. qui, elle, impose de finir le travail. Qu’elle sera l’émotion finalement victorieuse? 

C’est celle... qui a l’habitude de gagner. 

 

De l’émotion à l’intention

 

L’émotion qui se présente à un moment donné appelle le comportement qu’on a appris à lui associer. Le plus souvent, ce comportement amènera l’émotion qui l’engendre à se poursuivre un certain temps si elle est agréable ou à disparaître si elle est désagréable.  Par exemple, on étirera une fête qui nous donne du plaisir, on fera plus vite une tâche qui nous déplaît mais dont on se sentirait coupable de se dispenser. Ceci vaut pour le court terme. 

Mais il arrive que le but vers lequel nous amènent certaines émotions ne puisse se réaliser à court terme. Par exemple, on peut sans doute être attiré par l’idée d’être physiquement en forme, mais les gestes nécessaires à une remise en forme ne peuvent pas être accomplis en une seule fois. Cela prend plusieurs répétitions chaque semaine, sinon quotidiennes, ...toute sa vie! 

Or, si on veut se remettre en forme, c’est qu’on ne l’est pas. On a donc forcément des habitudes qui font qu’on ne l’est pas, habitudes qui se sont formées sous l’impulsion de certaines émotions qui nous ont menés à la sédentarité. Ces émotions sont encore présentes au quotidien et nous font encore répéter, au moment où elles sont présentes, nos comportements sédentaires.  Alors on s’entraînera...demain! Pour l’instant, on se repose, on regarde une série, on prépare les repas, on va sur FaceBook, on travaille pour rattraper son retard, on aide ses enfants à faire leurs devoirs. Et puis, «ça ne me tente pas» de m’entraîner! 

On ressent ainsi à un moment donné une émotion de désir en ce qui concerne une bonne forme physique. Mais l’accomplissement des gestes qui concrétiseraient l’atteinte de ce but se heurte à d’autres émotions qui nous gardent dans nos vieilles habitudes. On veut le but, on ne veut pas les moyens ou, pour être plus exact, on a d’autres émotions qui nous découragent d’utiliser les moyens. Qui gagne?

Par ailleurs, de nombreuses personnes gardent une bonne forme physique, mangent sainement, travaillent de façon équilibrée, gèrent bien leur argent, boivent modérément, etc. Il doit donc être possible d’y arriver. Les personnes qui terminent leurs études en médecine ne gèrent certainement pas leurs cours en se demandant si ça leur tente ou non d’étudier. Leur intention de réussir doit être plus grande que les émotions récurrentes qui les invitent à faire autre chose quand ils ont besoin d’étudier. L’intention est aussi basée sur une émotion, mais cette émotion est plus profonde et elle est entretenue régulièrement par une pratique concrète qui, devenue habitude, résiste aux émotions qui écartent du chemin vers la réalisation du but.

 

L’intention mène à une pratique

 

Il y a une différence énorme entre l’émotion qui nous prend quand le médecin (ou le miroir) nous dit qu’il faudrait perdre du poids et celle qui résultera à l’intégration de bonnes habitudes de vie. La première est réactionnelle, c’est une réaction de stress. Elle met en branle un processus qui force une action immédiate ou à très court terme dans le but d’écarter le danger. Un peu comme si on rencontrait un ours : faut faire quelque chose!  Alors on se dit qu’il faut se mettre à la diète...

La réaction de stress impose une vision «tunnel», un processus qui nous fait mettre le focus sur le danger (ou le plaisir) en occultant un peu tout le reste, et qui nous fait poser des gestes ou décider de poser des gestes en fonction de cet enjeu. Le travail non accompli garde ainsi certains d’entre nous au bureau, comme le miroir peut imposer de passer en mode «diète et activité physique». 

Par ailleurs, de retour à la maison, on se sentira coupable d’être resté travailler ou, dans la soirée, on préférera manger des chips en regardant une série, tout en se promettant sans trop de conviction qu’on ira s’entraîner demain... 

Certaines habitudes peuvent être prises rapidement, sans besoin d’intention particulière, sans même parfois qu’on s’en rende compte. Celle d’avoir recours à des écrans au moindre moment libre ou celle d’utiliser un cellulaire se sont installées rapidement et sont même devenues pour beaucoup de gens des dépendances. Idem des réseaux sociaux. Dans ces cas, il y a un certain plaisir et il n’y a aucun effort à faire. Ce sont deux caractéristiques suffisantes pour la mise en place d’une habitude. Il n’en est pas moins difficile de s’en défaire...

Mais pour créer une nouvelle habitude qui demande des efforts et qui va parfois à l’encontre du plaisir, l’émotion gagne à se transformer en intention. L’intention, c’est une motivation qui tient compte des difficultés, contrairement à l’émotion de surface qui fait comme si elles n’existaient pas. L’idée est moins de constater qu’il faut absolument arriver à atteindre un objectif particulier que de se demander si, concrètement, on est prêt à faire ce qu’il faut pour y arriver. On passe de la pensée magique à la planification : que fera-t-on, quand, avec quels moyens, à quelle fréquence?

On ne peut pas méditer deux fois par jour sans méditer deux fois par jour, ni utiliser la soie dentaire sans utiliser la soie dentaire, ni réduire sa consommation de gras-sucre sel sans réduire sa consommation de gras-sucre-sel. Dommage...

 

Privation?

 

Pour ceux et celles qui ne les ont pas acquises, les habitudes favorables à la santé constituent une sorte de preuve que la vie est mal faite. Pourquoi ce qui est sain n’est-il pas facilement accessible sans privation, sans effort, sans perte de plaisir? 

Une partie de la réponse se trouve dans le fait que notre monde nous a habitués très jeunes à trouver le plaisir en position assise (ou avachie) devant la télé ou la tablette plutôt que debout dehors à bouger, ou dans la consommation de sucre-sel-gras plutôt que dans le goût des aliments non transformés. C’est beaucoup l’habitude et pas seulement le plaisir qui prend le dessus. Certaines habitudes malsaines ont même été développées avec des efforts et du déplaisir : que l’on songe ici au tabagisme ou à la bière. Les premières expériences n’étaient certainement pas très agréables... Pourtant, beaucoup de personnes ont ces habitudes très ancrées. Doit-on conclure que les gens qui ne les ont pas développées se privent?

En fait, les gens qui bougent prennent plaisir à bouger, ceux qui mangent sainement ne vivent pas dans la privation et profitent de leurs repas et collations, comme ceux qui prennent de l’alcool par plaisir plutôt que par besoin. Si vous utilisez la soie dentaire, vous n’en faites ni un drame ni un exploit, pas plus que la moyenne des gens ne se font un objet de fierté de se brosser les dents. Une fois l’habitude prise, ça devient normal, ça passe inaperçu, ce n’est pas vu comme une privation.

 

Prendre l’habitude

 

D’un point de vue pratique, on verra donc à se méfier des soudaines urgences à atteindre un objectif auquel on ne peut parvenir que par la répétition des actions qui y mènent. Sommes-nous prêts à faire ce qui est nécessaire?

Si oui, quoi, comment, à quelle fréquence, à quel moment? , le tout de façon réaliste. Et on commence, par de petites choses. Méditer trois minutes, cinq fois par semaine, à telle heure; faire 30 minutes de promenade, un soir par semaine. Ce sera ça de pris, et ça pourra nous mener plus loin, jusqu’à l’habitude. Et comme les habitudes ont la vie dure, ce sera tant mieux pour nous.