La version de votre navigateur est obsolète. Nous vous recommandons vivement d'actualiser votre navigateur vers la dernière version.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour au travail ou… retour à la santé?

 

 

 Paru dans Travail et santé, vol 33 no 2, juin  2017

Par Jacques Lafleur, psychologue

 

Quand il s’agit de déterminer une date de retour au travail pour les gens dont l’absence est liée à un épuisement professionnel, les points de vue la personne, de l’assureur, de l’employeur, du médecin et des autres intervenants en santé sont parfois fort différents. Qui décidera, et selon quels critères?

 

Bon nombre de mes clients en arrêt de travail pour dépression liée à un épuisement se voient imposer des protocoles de retour au travail par la compagnie qui assure leur salaire. Ils reçoivent une lettre stipulant que, à compter d’une date fixée par l’assureur, ils devront rentrer au travail à raison de tant de jours par semaine pendant tant de semaines, le nombre de jours de travail hebdomadaires augmentant progressivement jusqu’au retour à temps complet. On leur demande de faire entériner ce protocole par leur médecin.

Or, la compagnie d’assurance possède le dernier certificat signé par le médecin traitant, stipulant que la personne restera en arrêt de travail au moins jusqu’à sa prochaine visite. Elle a aussi parfois les résultats d’une expertise psychiatrique qu’elle aurait commandée et qui indiquerait une date probable de retour au travail. Ces résultats lui permettent de baser la date de retour au travail sur une expertise médicale, sans obligation de demander qu’une nouvelle expertise soit effectuée quelques jours avant la date prévue pour le retour pour confirmer que le patient est bien en état de reprendre le travail. Et c’est souvent là que se situe le problème.

La compagnie peut aussi avoir le résultat d’entrevues téléphoniques avec son client, lequel aurait pu témoigner d’une certaine amélioration de sa santé. Mais, au Québec, ce n’est pas la personne affectée par une maladie qui signe son arrêt de travail ou son avis de retour au travail : c’est un médecin. On voit mal d’ailleurs comment une personne dont le médecin aurait signé un retour au travail pourrait exiger la poursuite de ses indemnités d’assurance en prétextant qu’elle est encore malade... Les entrevues téléphoniques ne peuvent donc pas être considérées dans la détermination du protocole de retour au travail.

 

Épuisement et dépression

 

L’épuisement professionnel n’entre pas dans le cadre des diagnostics médicaux. Il est la conséquence d’une période de stress chronique qui a rendu malade, mais il ne constitue pas un diagnostic en lui-même.

Durant une période de stress chronique, divers symptômes physiques et psychologiques augmentent progressivement jusqu’à ce que, éventuellement, certains soient suffisamment intenses pour qu’une maladie puisse être diagnostiquée. Les symptômes les plus invalidants mènent souvent à un diagnostic de dépression majeure.

Dans ces cas, on a bel et bien des symptômes de dépression majeure, mais les personnes qui souffrent d’épuisement ont un taux de cortisol extrêmement faible, alors que celui des personnes qui font une dépression est en surdose (1). On a le même diagnostic, mais ce n’est pas la même maladie! Non seulement ça n’a aucun sens d’un point de vue scientifique, mais ça a de plus des implications pratiques douloureuses pour le patient.

Ce qu’il importe de comprendre dans le cadre du retour au travail, c’est que lorsque les symptômes de dépression disparaissent chez les personnes ayant souffert de dépression, leur maladie est guérie alors que lorsqu’ils diminuent chez les personnes souffrant d’épuisement, la maladie n’est habituellement pas guérie. Il arrive notamment souvent que, chez les personnes souffrant d’épuisement, l’intérêt et le désir de faire des choses soient de retour alors que le corps ne peut pas accéder à l’énergie qui permettrait de réaliser ces choses : la fatigabilité est encore trop grande pour que la personne puisse fournir un effort soutenu, tant sur les plans physique que cognitif. La joie de vivre est de retour, mais pas la concentration qui permettrait de faire un effort intellectuel soutenu. Le désir de faire des choses est là, mais le corps tombe rapidement en panne d’énergie. Le désir de lire est là, mais la concentration ne permet pas d’enregistrer ce qui est lu et de multiples retours en arrière sont nécessaires pour arriver à bien emmagasiner ce qui a été lu.

Impossible de donner un rendement vraiment intéressant au travail dans ces conditions, même à deux jours par semaine.

De plus, comme ces limites corporelles et cognitives restreignent les gens qui sont forcés de revenir au travail à un rendement réduit, leur perte d’efficacité leur cause du stress et ralentit nettement leur progression vers la santé, quand on n’assiste pas à une régression.

Le recul de la tristesse, de l’insomnie, de la culpabilité, de l’anxiété ainsi que le retour de l’intérêt à faire des choses constituent une première étape de la guérison de l’épuisement. Il en reste deux autres : celle du retour des capacités cognitives (mémoire et concentration, notamment) et celle qui mène à pouvoir disposer d’un bon niveau d’énergie tout au long de la journée.  Si, à un certain moment de la convalescence, les symptômes dépressifs sont en nette régression, l’épuisement n’est pas pour autant guéri. Le cerveau ne fonctionne pas à pleine capacité et le corps s’en ressent.

Ce n’est pas le nom de sa maladie qui empêche quelqu’un de pouvoir travailler : ce sont les limites imposées par ses symptômes. Or, les symptômes de manque flagrant de concentration associés à une grande fatigabilité ne portent pas de nom en termes de diagnostic médical qui permettrait de justifier la poursuite d’un arrêt de travail jusqu’au retour de la santé.

Vide juridique...

 

Le retour au travail

 

On finit par guérir d’un épuisement, mais ça peut souvent prendre entre huit mois et un an avant que la santé ne soit totalement de retour. La période d’invalidité reste variable d’un individu à l’autre, mais on ne peut pas s’attendre à ce que la maladie fasse place à la santé en deux ou trois mois.

Dans le meilleur des cas, l’ensemble des intervenants et la personne elle-même tombent d’accord pour qu’un retour progressif soit effectué quand la maladie a suffisamment reculé pour que, depuis au moins deux semaines, la personne dispose de 90% de l’énergie et du pouvoir de concentration qu’elle a quand elle n’est pas malade.

Dans ces conditions, le retour au travail non seulement n’affecte pas le plein retour à la santé mais encore il y contribue, dans la mesure bien sûr où les sources professionnelles de stress chronique ont été identifiées et où on y a remédié. Idéalement, la personne aura elle aussi identifié ses attitudes malsaines en ce qui concerne le stress, comme le perfectionnisme malsain, l’hyper-responsabilisation, l’incapacité à quitter tant que tout le travail n’a pas été fait, l’anxiété de performance, etc.; elle aura aussi développé des comportements plus sains en regard du travail. Ou, encore, elle aura décidé de changer d’emploi si celui qu’elle occupe est irrémédiablement malsain, ce qui se produit quand même assez souvent chez les gens que je vois au bureau.

  

Différents intérêts

 

Médecin traitant, psychologue et autres intervenants en santé ont pour objectifs le retour à la santé ainsi que son maintien, alors que l’assureur, et éventuellement l’employeur, souhaitent un retour au travail.  L’assureur n’est évidemment pas contre le retour à la santé, mais il reste que plus la personne quitte rapidement la liste des personnes auxquelles il fait parvenir un chèque, plus cela est favorable à son chiffre d’affaires.

Plusieurs assureurs envoient les personnes en arrêt de travail en expertise psychiatrique assez tôt après le moment à partir duquel ils doivent leur verser des prestations. Je n’ai pas fait de recherche en analyse statistique quant aux conclusions de ces expertises pour tous les cas mais, pour une grande majorité des personnes que je vois, ce qui représente je le rappelle un échantillon très restreint, l’expertise confirme le diagnostic de dépression et prévoit un retour au travail progressif dans un délai de quatre à six semaines. La compagnie se trouve alors justifiée d’exiger ce retour au travail à la date fixée, sans qu’elle ne s’inquiète de vérifier si, de fait, la prévision du psychiatre expert en ce qui a trait à la guérison s’est avérée exacte.

Dans ces cas, le médecin traitant peut encore s’opposer au retour au travail, mais on comprendra qu’il devra justifier amplement son refus de signer le retour au travail. Et on comprendra aussi que les patients qui n’ont pas de médecin de famille auront du mal à faire remplir par un médecin qui ne les connaît pas vraiment la paperasse capable de justifier le point de vue d’un omnipraticien contre celui d’un expert psychiatre.

Une autre stratégie des compagnies d’assurance pour raccourcir les arrêts de travail consiste à offrir un suivi en ergothérapie en santé mentale, une profession qui vise à favoriser le retour à la vie normale à la suite, notamment, d’une période de dépression. Il s’agit, entre autres choses, d’aider le patient à reprendre les habitudes de vie qu’il avait quand il était au travail (horaire de sommeil approprié, mise en place d’activités quotidiennes, etc.), habitudes que la maladie l'a forcé à délaisser. Les professionnels proposent aussi des exercices pour aider au retour de la capacité d'attention et proposent des moyens de gestion de l'énergie. Cette aide est fort utile lorsque respectueuse de l’état des gens.

Mais, encore là, l’objectif de retour au travail rapide peut prendre le dessus sur celui du retour à la santé et exiger trop du patient, ce qui pourrait mener l’assureur à la conclusion qu’il ne collabore pas à son traitement plutôt qu’à celle que la rééducation proposée est trop exigeante pour lui à ce moment-ci de sa convalescence. Plutôt que de l’aider, le service d’ergonomie créerait de la pression et, en conséquence, du stress défavorable à la guérison.

 

Quelle santé?

 

Il est possible de travailler même quand on est malade. Par exemple, on peut travailler avec la grippe, du reflux gastrique ou des douleurs liées à de l’arthrose. Tout comme il est possible pour des gens ayant souffert d’épuisement de travailler avant la fin d’une véritable guérison. Mais il y aura un prix à payer.

Les gens qui sont forcés de rentrer au travail avant d’être vraiment guéris pourront éventuellement, au prix d’efforts exténuants, accomplir une journée de travail. Mais cela les aura vidés de leur énergie et leur retour à la maison s’accompagnera d’un besoin de repos immédiat, qui pourrait les mener à devoir aller se coucher une heure ou deux pour récupérer un minimum d’énergie. Moins difficile pour les célibataires que pour les personnes qui ont trois enfants affamés et qui ont besoin d’aide pour faire leurs devoirs...

Au début de leur retour progressif, ils béniront le ciel de ce que leurs deux ou trois journées de travail ne soient pas consécutives, car ils pourront encore passer une journée ou deux à récupérer avant de se vider de nouveau au travail du peu d’énergie dont ils disposent. Peut-on parler de retour à la santé?

Un de mes clients, de retour à temps complet beaucoup trop tôt après un retour progressif, a ainsi passé plus d’un an à lutter contre sa fatigue entre le moment où il rentrait chez lui vers 16 h 30 et celui où il se permettait de dire bonsoir à sa conjointe et à ses enfants vers 20 h 00, pour aller au lit. Et les fins de semaine servaient à récupérer, pas à vivre. Beaucoup de personnes se sont ainsi «trainées» pendant des mois après un retour trop rapide au travail suite à un épuisement. Le risque est grand.

Est-ce que le retour à la santé est défini par le seul retour de la capacité à travailler ou par celui de la capacité à disposer d’une énergie suffisante pour vaquer à l’ensemble de ses occupations?

 

Le plus simple

 

Les études scientifiques montrent clairement que le stress chronique induit un nombre important de symptômes tant physiques que psychologiques, le tout portant le nom de poids allostatique. Les symptômes dépressifs font partie de ces symptômes, mais on ne peut pas réduire l’épuisement à la dépression. Les personnes dont le poids allostatique a été suffisamment grand pour les conduire à l’invalidité souffrent notamment d’une multitude de symptômes dont ne souffrent pas les personnes en dépression.

On sait que la maladie est terminée quand le patient a retrouvé la capacité de vaquer à ses occupations normales avec énergie et concentration. Il a alors retrouvé de l’intérêt pour travailler et il a la capacité de le faire sans que cela ne nuise à ses activités de soirée ou de fin de semaine.

Mais, bien sûr, rien n’est simple quand il s’agit d’argent et que les gens semblent avoir si peu d’importance...

 

 

1. http://www.stresshumain.ca/stress-et-vous/stress-chez-les-travailleurs/burnout-vs-depression/page-3.html