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Résumé des grandes lignes d'un livre que j'ai co-publié en 1994 avec mon ami Robert Béliveau, médecin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Stress : mode d’emploi

Par Jacques Lafleur, psychologue


Paru dans Travail et santé, vol 30 no3, septembre 2014, révisé mars 2017

 

Novembre 2014 marquera le 20 ème anniversaire de la publication de mon premier ouvrage, écrit avec mon ami médecin Robert Béliveau (1) . Je saisis l’occasion pour résumer ici les grandes lignes de ce livre par lequel nous souhaitions offrir un complément scientifiquement fondé, sinon une alternative, aux approches exclusivement médicales concernant les manifestations physiques ou psychologiques du stress chronique. 

La pratique

Nos pratiques professionnelles respectives en médecine et en psychologie nous avaient maintes fois confirmé l’impact néfaste qu’ont sur la santé les situations difficiles qui perdurent. De mon côté, je pouvais savoir avant même d’avoir posé quelques questions à ce sujet que la personne qui me consultait pour des difficultés qui la stressait depuis des mois souffrait aussi de plusieurs problèmes de santé dite physique; Robert, lui, après avoir entendu un patient lui parler de sa fatigue, des ses problèmes de sommeil, de son mal de dos et de ses brûlures d’estomac, pouvait lui demander ce qui n’allait pas dans sa vie en étant certain d’avoir des réponses.

La science médicale

La science de l’époque établissait déjà une corrélation entre l’occurrence de certaines situations de vie et l’arrivée de la maladie. Les travaux plus connus de ces années demeurent ceux des psychiatres Holmes et Rahe, ceux du médecin chercheur Selye ainsi que ceux du psychiatre Freudenburger et de la psychosociologue Maslach.

Les recherches des premiers leur avaient permis de constater que, en compilant les changements vécus par une personne pendant une période de deux ans, on pouvait prédire avec une relative justesse les probabilités qu’elle ne tombe malade dans l’année suivante. Ils avaient créé et publié ce qui est connu sous le nom de l’«échelle de réajustement social», un questionnaire qui permet à chacun de mesurer ses risques. L’échelle est aujourd’hui facilement disponible sur Internet.
Leurs recherches établissaient une corrélation (p<0.118) entre le total des changements vécus et les probabilités de maladie, le tout sans devoir tenir compte de l’individu, un peu comme si tout le monde accumulait la même quantité de risque à partir d’une confrontation à un même événement. L’échelle accorde cependant un poids différent à chaque type de changement, un divorce augmentant davantage les risques qu’une perte d’emploi, par exemple.

Parallèlement, les travaux de Hans Selye expliquaient biologiquement le phénomène : peu importe le type de stresseur auquel un individu est confronté, cela aura pour conséquence d’augmenter ses taux de cortisol et d’adrénaline. Au début, la réaction sera vive (phase d’alarme) mais elle mènera à une sorte d’adaptation (phase de résistance) qui, quoique encore dérangeante, atténuera les vifs symptômes du départ. Si la situation stressante perdure, il s’ensuivra à plus ou moins longue échéance une troisième phase, l’épuisement, le plus souvent une sorte de dépression, comme si la résistance avait une fin, un bout du rouleau. L’épuisement peut aussi survenir sous forme d’une maladie plus physique avant que ne survienne la dépression.

La science psychosociale

Au plan psychosocial, on assiste à cette époque à la naissance de la notion de «burnout». Le créateur du concept, le psychiatre Freudenburger, observe l’usure et le désinvestissement de beaucoup de personnes travaillant en relation d’aide auprès de toxicomanes. Il décrira ce phénomène sous le nom de «burnout».

Maslach, elle, constate l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation (désinvestissement) et la diminution d’accomplissement personnel de professionnels de la santé confrontés trop longtemps à des clients/patients trop nombreux ou trop mal en point. Les symptômes associés à ces trois manifestations de stress chronique définiront le burnout et seront mesurés avec une échelle (MBI) encore utilisée de nous jours dans nombre de recherches.

Notre modèle

À partir de nos observations et des recherches disponibles à l’époque, nous avons proposé un modèle simple, qui offre une compréhension de ces liens entre les difficultés de la vie quotidienne et les probabilités de maladie. Il permet aussi de se situer et d’agir pour se garder en santé ou la retrouver, si des symptômes invalidants sont apparus pendant une période de vie difficile.
Il stipule que toute situation de stress est composée de quatre éléments interdépendants : des symptômes apparaissent chez une personne quand elle est incapable de répondre de façon satisfaisante à ses occasions de stress.

1.Symptômes

Les symptômes de stress sont variés et ils sont reliés à un hyperfonctionnement sympathique (adrénaline) et à un taux élevé de cortisol. Au total, l’effet d’un taux élevé de ces deux hormones sur une longue période affecte tout l’organisme, un peu comme une élévation du voltage dans le panneau électrique de la maison affecterait tous les appareils. On parle aujourd’hui de périodes d’allostasie. Parmi ces organes figure le cerveau, d’où la présence de symptômes aux niveaux émotionnel, cognitif, perceptuel, relationnel, comportemental, existentiel et à celui de la motivation, en plus des symptômes physiques (tensions musculaires, fatigue, problèmes digestifs, cardiovasculaires, musculo-squelettiques, etc.)   voir notre grille sur http://www.acsm- ca.qc.ca/inventaire-de-ses-symptomes-de-stress.html ou ici
Tout au long de la période de stress chronique, un grand nombre de ces symptômes apparaissent les uns à la suite des autres. Certains prennent de l’ampleur jusqu’à ce que l’individu glisse en invalidité, soit à cause d’une maladie physique (infarctus, par exemple) ou à cause d’une maladie dite «mentale» (une dépression par exemple). On retrouve ici la phase d’épuisement décrite par Hans Selye.

2. Occasions de stress

Les symptômes apparaissent quand les réponses qu’apporte un individu à ce qui le stresse ne donnent pas les résultats escomptés. Il n’y a en effet pas de stress chronique quand les réponses sont efficaces. Cela nous avait amenés à remplacer les expressions «stresseur» et «agent stresseur» utilisés à l’époque par une autre : occasion de stress.
Une demande n’est en effet stressante que pour qui ne sait pas dire non et, si l’apprentissage de la conduite automobile peut créer du stress, il n’en demeure pas moins que bien des gens qui la maitrisent choisissent de faire une balade en voiture pour se calmer. Il n’y a donc pas de réaction de stress dommageable ou chronique pour qui sait répondre. Toute occasion de stress peut être vue comme une occasion d’apprendre à répondre.

On retrouve la plupart des occasions de stress dans les domaines du travail, du temps, de l’argent, des relations, de la santé et des changements. Il importe d’identifier l’ensemble de ses occasions de stress. Un inventaire de ses occasions de stress au travail peut aussi s'avérer fort utile.

3. Réponse

Au niveau de la réponse, nous distinguons trois grands axes;
1. L’action, qui se divise elle-même en prise de contrôle ou en lâcher prise. On choisira de prendre du pouvoir ou d’exercer une influence dans les cas où c’est possible (plutôt que de résigner et de subir) et on lâchera prise là où notre pouvoir d’influence est trop faible (plutôt que de s’acharner ou de chiâler). On comprendra aussi que, si notre façon de solutionner notre problème ne fonctionne pas, il devient crucial de la changer.
2. L’expression, qui nous permet d’alléger la charge émotionnelle liée à une occasion de stress par rapport à laquelle l’action s’avère impossible (un deuil, par exemple). Le fait de se confier à quelqu’un qui sait écouter peut nous soulager et, ce faisant, réduire le taux de nos hormones de stress.
3. L’inhibition (à éviter) par laquelle nous demeurons dans une situation insatisfaisante ou destructrice sans agir de façon efficace et sans lâcher prise C’est la principale cause du stress chronique. L’inaction, le refoulement, l’obéissance malgré la frustration ou l’incapacité à sortir d’une situation dommageable sont des exemples d’inhibition (voir quelques exemples sur http://www.psychomedia.qc.ca/stress3.htm).

Répondre par l’action demande de la compétence par rapport à l’occasion de stress. La compétence mène au contrôle, lequel neutralise l’effet stressant d’une situation. Dans certains cas, cette compétence n’est pas acquise; il importe alors de la développer (comment faire un budget, utiliser tel logiciel, poser ses limites, gérer son temps, etc.). Parfois, cependant, la compétence est acquise mais nous ne nous autorisons pas à l’utiliser (nous savons que le repos est la bonne réponse à la fatigue, mais nous ne nous donnons pas le droit de nous reposer tant que nous n’avons pas terminé ce que nous croyons devoir faire). Le changement porte alors sur le quatrième élément de notre modèle : les attitudes

4. Les attitudes

Une attitude est une forte propension à réagir d’une façon particulière à une situation. Elle se compose d’une variable cognitive (ce que nous savons ou croyons), d’une variable émotionnelle (ce que nous ressentons) et d’une variable comportementale (ce que nous faisons).
Quand les trois composantes sont en harmonie, l’attitude est stable et se perpétue. Par exemple, si nous croyons que nous n’avons pas droit au repos tant qu’il reste quelque chose à faire, que nous nous sentirions mal de nous reposer avant d’avoir fini ce que nous voyons comme nos tâches et que nous agissons toujours en accord avec cette façon de voir, notre attitude se maintient et se renforce.

Quand l’une ou l’autre des trois composantes vient à changer, l’attitude se fragilise et un changement devient possible. Si, par exemple, un collègue que nous estimons et dont nous respectons le travail quitte à 17 h 00 même lorsqu’il n’a pas terminé ses tâches, cela pourra mettre un doute sur notre croyance limitative et, éventuellement, être le début d’un changement d’attitude, lequel pourra mener à un changement de comportement.

Au nombre des attitudes néfastes en regard du stress chronique, on peut noter : le manque de confiance en soi, la difficulté à s’affirmer, la rigidité, le manque de respect de soi, la peur de l’autorité, la procrastination, la dépendance (financière, affective, etc.), le perfectionnisme, l’hyper-responsabilisation, la loyauté à tout prix, l’ambition démesurée, le manque de discipline personnelle et les tendances à appréhender ou à dramatiser, pour n’en nommer que quelques-unes. La liste est en effet longue. En ce qui concerne le travail, on peut consulter cette liste.

Sachons à tout le moins que nous avons tous des façons spontanées de réagir aux choses de la vie. Ces réactions se sont profondément enracinées dans notre système nerveux parce que nous les avons apprises et pratiquées. Il reste possible de les assouplir quand on se rend compte qu’elles nous nuisent davantage qu’elles ne nous aident, mais ce n’est pas un travail qui donne instantanément des résultats. Cela suppose un désir de changement, une conscience de la tendance à tomber dans les mêmes pièges et beaucoup d’entraînement à de nouvelles façons de répondre.

Une démarche

Une démarche éclairée en réduction du stress pourrait commencer par une évaluation de son niveau de stress, c’est-à-dire par une évaluation de ses symptômes. Ce sont en effet les symptômes (fatigue, tensions, irritabilité, etc.) qui nous montrent jusqu’à quel point nos taux d’adrénaline et de cortisol sont élevés.
Dans la mesure où nos symptômes sont importants et variés, on pourra les réduire par des moyens qui agissent directement sur l’adrénaline et le cortisol : repos et ressourcement, techniques de méditation ou de relaxation, sommeil suffisant, activité physique modérée, diminution des excitants (caféine, nicotine, notamment) et médication, le cas échéant.
Puis, nous nous intéresserons aux causes de cette tension, c’est-à-dire que nous identifierons nos occasions de stress. Sur l’ensemble de ces occasions de stress, il se peut qu’un ménage s’impose. Nous avons trois moyens principaux :

  1. La plupart des gens en stress chronique ont trop de choses à faire et ils dépensent trop d’énergie en comparaison de la récupération qu’ils s’offrent. On enlèvera certaines choses (lâcher prise) et on en fera d’autres avec moins de zèle. On peut aussi en déléguer. En fait, ici, on établit nos priorités de vie en tenant compte de notre niveau de stress. Simplifier sa vie est la direction qui s’impose le plus souvent.

  2. On ajoutera des choses intéressantes, ressourçantes, qui font du bien. Les gens en stress chronique oublient qu’ils peuvent se permettre d’alléger leur vie, comme s’il fallait que tout soit réglé avant qu’ils ne puissent se permettre de vivre une vie saine.

  3. On essaiera aussi de s’adonner à des activités variées, pour que notre vie ne soit pas toujours axée sur une seule dimension. Entre deux efforts, le corps, la tête et le cœur ont besoin de repos.

Par rapport aux occasions de stress qui resteront, on s’efforcera de trouver des réponses efficaces. Attention à la tendance à remettre à plus tard les choses difficiles. Ce qui est réglé ne nous stresse plus; alors comment agir là où c’est possible, lâcher prise là où notre influence est minime, rompre avec ce qui nous fait irrémédiablement du mal sans qu’on ait le pouvoir de changer des choses? Identifier et exprimer les émotions que l’on vit peut aussi soulager la tension et aider à voir les choses autrement. Attention à l’inhibition, le refoulement ou l’inaction.

La question des attitudes reste difficile à aborder en peu de mots. Rappelons-nous que ce ne sont pas tant les choses qui nous stressent que la façon dont nous les percevons. Le perfectionnisme ou l’injonction à faire passer le devoir avant tout, par exemple, limitent nos possibilités d’avoir une vie moins coincée, ce qui augmente d’autant nos risques de stress chronique.

Quand nous trouvons des situations difficiles, il s’avère important de nous demander s’il ne nous serait pas plus utile de changer des choses en nous plutôt que de diriger notre énergie uniquement vers l’extérieur. La question est alors moins de «savoir répondre» que de savoir pourquoi nous nous stressons avec la situation. Attention donc à nous emprisonner dans une façon de voir les choses qui nous contraint à des réponses qui maintiennent le stress. On trouvera ici une liste de compétences de gestion de stress qui couvre l'ensemble de ce qui a été écrit dans cet article.

À une époque où 40 % des travailleurs disent vivre un stress élevé au travail (2), il importe, dans une optique de santé préventive, de le prendre en considération. La vision du stress présentée plus haut peut aider à le faire et à agir de façon responsable tout en étant favorable à la santé et au bien-être.

1. Lafleur, J. et Béliveau, R. (1994). Les quatre clés de l’équilibre personnel : Quand il faut soigner sa vie. Outremont : LOGIQUES.

2. http://www.msss.gouv.qc.ca/statistiques/sante-bien-etre/index.php?Evolution-du-stress- quotidien-eleve-au-travail-selon-le-sexe