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Nous savons très bien que certaines pratiques sont favorables au maintien de la santé alors que d’autres lui nuisent. Pourtant, le nombre de maladies liées directement à de mauvaises habitudes de vie ne cesse d’augmenter.

S’il reste utile de multiplier les informations qui nous communiquent ce que nous savons déjà relativement bien, il reste crucial de mieux cerner ce pourquoi nous avons de la difficulté à les mettre en pratique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les petites compulsions et la santé


Par : Jacques Lafleur, psychologue


Paru dans Travail et santé, vol 25 no 2, juin 2009, révisé en février 2017

 

 

En y regardant honnêtement, nous pourrions tous facilement trouver dans nos vies quelques habitudes de santé que nous négligeons au moins quelque peu ainsi que des accrocs plus ou moins importants aux recommandations officielles de Santé Canada. Pourquoi ces écarts, alors que la santé reste, avec le bonheur, ce à quoi nous prétendons tenir le plus?

En fait, la réponse à cette question comporte de multiples facettes. De la persistance des habitudes de vie acquises durant l’enfance en passant par un mode de vie au temps encombré ou par l’omniprésence des produits alimentaires gras-sucrés-salés, on trouve de nombreuses bonnes raisons d’oublier que la santé n’est pas totalement gratuite. De plus, à l’exception des moments où l’arrivée d’une maladie nous signale clairement que l’on a dérogé au mode d’emploi du corps, nous préférons ne pas prendre conscience des effets nuisibles de certaines de nos habitudes. Encore ici, on trouve maintes raisons de fermer les yeux : pressions à faire comme les autres, péchés mignons, manque de temps, fatigue, frustration à s’ajouter des contraintes, absence d’un sentiment d’urgence à changer, etc.
Sans prétendre avoir la solution, j’aimerais ici proposer quelques pistes de réflexion susceptibles de soutenir une démarche d’amélioration des comportements favorisant la santé.

Émotions et positionnement

Notre cerveau de mammifère est composé de trois étages relativement spécialisés : sommairement, on peut dire que le plus profond (reptilien) gère le maintien fondamental de la vie, le second (émotionnel) dirige le comportement en fonction des émotions ressenties d’instant en instant et le troisième (néocortex) permet le recul face aux situations ainsi que la pensée.
Si vous avez déjà eu le goût de mettre vos enfants dans un sac vert, vous savez comment fonctionne le cerveau émotionnel laissé à lui-même : une forte émotion vient soudainement vous imposer une envie très forte de faire quelque chose mais, le temps passant, une autre émotion ou le retour à la raison vous rend à vos habitudes (pour le plus grand bonheur de vos enfants dans le cas du sac vert!).
Tout désir de modification de comportement naissant d’une émotion vive suit ce même chemin: le changement pour le mieux s’impose vivement à l’esprit comme nécessaire et urgent, sous forme de « il faut absolument que », jusqu’à ce que nos habitudes reprennent le dessus. Les médiocres succès relatifs à la prise de bonnes résolutions témoignent de plus que ce retour au naturel n’est habituellement pas très long : dès que l’émotion liée à «il faut absolument que je perde du poids» se calme quelque peu, les difficultés inhérentes au changement ont vite fait de nous ramener à croire que la situation est moins désespérée qu’il n’y paraissait; en conséquence, il redevient tout à fait admissible de remettre le tout à plus tard. « L’esprit est prompt, mais la chair est faible » nous dit l’Évangile...

En fait, les pseudo-décisions que l’on prend sous le coup d’une vive émotion servent de calmant. Bien qu’elles se formulent sous forme d’intentions (il faut que je...), elles ne sont en fait que des poussées qui émanent du cerveau émotionnel et ne révèlent aucun projet de changement. Un peu comme l’impulsion d’un enfant qui, à la suite d’une frustration, décide que le camarade qui est à la source de son malheur ne sera plus jamais son ami. Cela le calme un peu, mais ne pariez pas à dix contre un qu’il ne retournera jamais jouer avec le camarade en question!

Un véritable changement de comportement de santé ne peut s’appuyer que sur une forme de discipline, laquelle soit tenir suffisamment longtemps pour qu’une nouvelle habitude ne s’installe. En conséquence un changement vers la santé ne peut trouver appui sur une impulsion, par définition volatile. La question n’est donc pas tant de savoir si il faut absolument qu’on change que de s’assurer qu’on veut changer.

On quitte alors quelque peu le cerveau émotionnel pour un voyage dans le néocortex, où on sera plus à même de savoir véritablement ce qu’on veut tout en ayant une meilleure idée du prix à payer.

Tout le monde veut aller au ciel, oui mais personne ne veut mourir

Il est certain qu’on veut être en santé; mais désire-t-on profondément changer tel ou tel comportement nuisible à la santé ou encore développer telle ou telle habitude qui lui serait favorable? C’est ici que tout se joue.
Admettons dès le départ qu’on ne peut pas vraiment espérer atteindre un objectif si on n’est pas prêt à prendre les moyens pour y arriver. Or, la plupart des changements qui améliorent la santé sont vus, au départ, comme des contraintes et des privations plutôt que comme désirables. Le fumeur, l’alcoolique, l’accroc à la caféine et l’obèse devront se priver, le sédentaire devra s’obliger à bouger, le stressé devra changer des choses. Privations et contraintes...

  • -  Il faut que je maigrisse!!

  • -  Bien! Êtes-vous certain de vouloir vraiment manger plus « santé », boire davantage

    d’eau, passer tant de temps chaque jour ou chaque semaine à faire telle ou telle activité

    physique?

  • -  Euh..., mais merde!, il faut que je perde du poids!

  • -  Je comprends; mais êtes-vous certain de vouloir vraiment vous faire une habitude de

    manger santé, de manger moins, moins sucré....

    C’est ici que tout se passe. La plupart du temps, le désir d’améliorer sa santé engendre un conflit intérieur entre deux séries d’émotions qui s’imposent en alternance (celle qui vient de

«il faut que je change» et celle qui accompagne «je ne peux pas/je ne veux pas m’imposer les moyens du changement»). On sait qui finit par gagner...
Or, le conflit ne porte pas sur le désir de santé mais sur l’objet précis du changement. C’est lui qui suscite des résistances. Le désir de santé se révèle tout simplement moins persistant que ces résistances.

Les petites (et grandes) compulsions

Au centre de ces résistances se trouve le phénomène compulsif. La compulsion est une force qui suspend le jugement et engage encore et encore l’individu dans la répétition de gestes qui le soulagent temporairement d’une émotion plus ou moins irrationnelle. À des degrés avancés, elle explique le jeu pathologique ou la boulimie, par exemple. À des niveaux moindres, elle fait encore et encore dévier des intentions saines qui semblaient fermes. Le cerveau émotionnel prend alors le dessus sur le néocortex et impose temporairement le comportement que l’on souhaiterait éviter. Durant le temps où la compulsion prend le dessus, on devient une personne différente de celle qui souhaite changer des choses. Et cette personne-là ne veut pas ou ne peut pas se passer de l’objet de sa compulsion.

Une dame me disait qu’il fallait qu’elle perde du poids mais que, malgré ses bonnes intentions, «les pieds lui tournaient» quand elle passait devant la pâtisserie. Ce type de perte de contrôle nous montre que, bien qu’on puisse à l’occasion se permettre sciemment certains écarts à ses résolutions, il est aussi fréquent qu’on ait l’impression qu’on ne peut pas s’empêcher de le faire, que c’est plus fort que nous. La force compulsive vient nous déposséder de la capacité d’orienter nos comportements comme nous le souhaiterions pour atteindre nos objectifs. Nos leviers de commande tombent dans le cerveau émotionnel, où le besoin du comportement nuisible est immense et où les raisons de s’en abstenir sont masquées, voilées, sans force; ces dernières ne reviennent dans notre cerveau raisonnable qu’après que l’on ait fait disparaître l’impulsion en question en cédant au comportement malsain. Comme la fois d’avant. Comme la prochaine fois?

Éléments stratégiques

Il est manifestement possible d’acquérir des habitudes favorisant la santé et de les garder. À la lumière de ce qui vient d’être dit, on comprendra cependant qu’il pourrait être utile de s’y prendre plus stratégiquement si on veut conserver son intention suffisamment longtemps pour consolider l’habitude visée. Voici quelques idées en ce sens :

Valoriser la santé. Garder présent à l’esprit que, si le corps a ses mécanismes pour compenser les difficultés que nous lui imposons, son fonctionnement est malgré tout affecté par les dérogations importantes ou récurrentes aux habitudes de santé. Le bien-être et l’énergie résultant d’une bonne santé nous semblent-ils suffisamment désirables pour que nous entreprenions de corriger l’un ou l’autre de nos écarts de conduite? Une réponse négative ici nous mène à un échec à peu près certain.

Vouloir changer. Préciser le changement visé en termes de comportement précis (le comportement, sa quantité ou sa fréquence) et le formuler avec les mots « je veux ». Prendre conscience de ce que cela nous fait vivre. (Je veux faire telle chose tant de fois par semaine, je veux augmenter/réduire ma consommation de telle chose à telle quantité par jour, je veux apporter telle solution à ce problème qui me fait du tort en m’y prenant de telle façon.). Sent- on qu’on le veut vraiment ou n’est-ce qu’un vœu pieu? Comment réagit-on à la formulation
« je veux »? C’est vrai qu’on veut? C’est faux? Ça fait peur de changer? La motivation est insuffisante? Notre comportement actuel n’est pas si néfaste?
Ajuster la quantité si nécessaire, jusqu’à ce qu’on sente qu’on est prêt à s’engager. Même un tout petit changement réduira la force compulsive, ce qui pourra nous mener à de plus grands changements dans quelque temps. Attention ici, il ne s’agit pas de cibler une intention (je veux perdre tant de poids), mais un comportement (je veux manger ceci et cela en telle quantité) — et tant mieux si on perd du poids.
S’engager. S’engager pour une période donnée à mettre le changement en pratique. Écrire cet engagement et sa première échéance. « Je m’engage à faire telle chose en telle quantité pendant tant de temps ou jusqu’à telle date ». Mettre la fin de ce premier engagement assez près (une semaine, un mois tout au plus), car un engagement moins long est habituellement plus facile à prendre et à tenir. À l’échéance, il sera toujours possible de renouveler le contrat. Attention ici : il est préférable, une fois la « quantité » fixée, de s’en tenir à cette décision et de ne pas en faire plus. On ajustera dans un prochain contrat si on a le vent dans les voiles. S’organiser. Faciliter le changement en se donnant des conditions pour que le comportement désiré soit plus facile à accomplir et/ou pour que le comportement à diminuer ou à éviter soit plus compliqué : réserver du temps dans sa semaine pour l’activité choisie, faire sa liste d’épicerie en conséquence des changements désirés, se joindre à un groupe ou à une autre personne qui vise le même but si cela nous aide, faire chaque jour des lectures qui consolident sa décision, etc.
Prendre des notes. Noter ses résultats chaque jour. Ce calendrier deviendra une force de motivation et nous rappellera que, même si notre vie reste faite d’innombrables choses, notre désir de changement est actuellement une priorité. On oublie vite, surtout quand cela fait l’affaire de notre saboteur intérieur de reprendre son contrôle.
Apprendre à laisser passer l’émotion. À certains moments, le cerveau émotionnel voudra reprendre le dessus (attention !!!: tour à tour tentateur, séducteur, ensorceleur, harceleur, démoralisateur, défiant, dénigreur, le cerveau émotionnel possède à merveille toutes les stratégies de manipulation). Le mieux à faire est de couper court à ses tentatives de sabotage, et ce le plus tôt possible. Rappelons-nous que plus on laisse son cerceau émotionnel prendre de la force, plus on devient temporairement une personne qui ne tient pas vraiment à changer. Ne discutons pas et traitons-le comme un enfant insistant : je t’ai dit non, tu reviendras à la fin du contrat. À ces moments, il pourra être utile de se rappeler que c’est une impulsion malsaine qui nous pousse, ce n’est pas une intention. L’impulsion passera, l’intention restera.
Évaluer. Chaque jour, en écrivant nos notes, on évalue si on est content du résultat. À la fin de l’engagement, on voit s’il vaut la peine de poursuivre pour une autre période et, si oui, quelles modifications méritent d’être apportées. Cela définira les paramètres de notre nouvel engagement.

Les compulsions positives

Le bon côté des habitudes de santé, c’est qu’elles deviennent elles aussi des formes de drogues1. Par exemple, les gens qui mangent plutôt bien tiennent à continuer et ne voient pas comme une privation ou une contrainte de s’abstenir de manger la graisse salée et sucrée que l’on retrouve partout sous des formes à première vue désirables. Il est aussi très difficile pour les personnes qui ont une pratique d’activité physique régulière de renoncer à leur habitude de bouger.
En fait, une fois une habitude de santé bien installée, notre regard sur nos anciennes habitudes néfastes ou à tout le moins dommageables nous révèle qu’on n’a rien perdu. La santé n’est pas le résultat d’une ascèse douloureuse, mais la conséquence de choix de plaisirs différents, qui s’organisent en habitudes jusqu’à devenir une seconde nature. Un autre gain, non négligeable, est le sentiment de diriger sa vie en fonction de ses valeurs plutôt que de rester esclave de compulsions plus ou moins malsaines. Cela a un effet très positif sur l’estime de soi.

Pour conclure

L’information entourant tout ce qui favorise la santé reste essentielle, mais il est aussi utile de s’attaquer de front à nos petits démons intérieurs si on veut arriver à mettre en pratique ce que cette information nous invite à faire.
Bien que la santé soit influencée par une foule de facteurs extérieurs, dont certains sont d’ailleurs la cible d’une action ferme et soutenue de la part des groupes SST, elle reste aussi déterminée par nos choix quotidiens. Tant dans le domaine physique que mental, on peut accepter de prendre une part de responsabilité importante quant à la direction que nous souhaitons donner à nos habitudes. Il s’agit moins de se priver, de résister, de se contraindre que de toucher en soi une aspiration profonde qui nous tire vers le meilleur. Et de suivre cette aspiration avec le bonheur qu’elle inspire.

1 Voir par exemple Glasser, William : Les drogues positives LOGIQUES, Outremont, 1999